dimanche 29 mai 2016

"Café Society" de Woody Allen



Installez-vous confortablement dans votre siège. Une musique de jazz vous accompagne, le fond est noir, la typographie immédiatement reconnaissable, impossible de ne pas esquisser un sourire: vous avez, de suite, reconnu la patte Woody. 

Tout commence en 1930, à Hollywood. Phil (Steve Carell), imprésario, producteur, attend un appel de Ginger Rogers. Tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'à l'autre bout du fil, c'est son passé de juif new-yorkais qui le rattrape. Son neveu, Bobby, veut lui aussi vivre la belle vie et l'American Dream. Pas si simple: les places, à Hollywood, sont chères. Et Bobby de se faire sa place auprès de ces belles américaines, de ces couchers de soleil éblouissants, ces demeures plus grandes que nature... Le prix à payer sera lourd: un amour perdu, blessé, déçu, qui lui a préféré son oncle. 

Avec Café Society, Woody Allen signe probablement le plus beau film de sa carrière sur le plan visuel. La lumière à la Sunset Boulevard magnifie sa nouvelle recrue, Veronica (interprétée par Kirsten Stewart), qui polarise les désirs et fantasmes du héros. Mais lorsqu'elle apparaît après l'avoir trompé, au bras de son rival, son visage devient soudainement presque laid. Costumes travaillés, décors à couper le souffle, monde du paraître mais du succès, on comprend pourquoi Hollywood attire toutes les convoitises. 


A ce titre, la scène de Central Park qui accueille les retrouvailles des deux protagonistes principaux après que ceux-ci ont reconstruit leur vie (et surtout après que Bobby a réussi) demeure éblouissante. Café Society n'est donc pas un Woody Allen des plus ordinaires, après le par exemple très banal et prévisible Magic in the MoonlightManifestement, Woody Allen cultive un goût très prononcé pour les années 20 - 30 qui, depuis quelques années, semblent constituer l'époque qui sert de cadre à de nombreux films. 

En plus d'être une réussite esthétique, Café Society brille par sa direction d'acteurs : Jesse Eisenberg, que plus d'un(e) aura trouvé insupportable dans The Social Network, incarne à la perfection le benêt en plein apprentissage, le looser devenu self-made man. C'est aussi avec délice qu'on retrouvera ce phrasé si typique aux acteurs principaux de Woody, comme si le réalisateur incorporait sa gestuelle dans ses personnages, à l'instar de Owen Wilson dans Midnight in Paris dans lequel Woody avait poussé le vice jusqu'à habiller Wilson comme lui. Steve Carell campe jouissivement le premier parvenu de la famille. 
Pour toute cette galerie de portraits, Woody s'est efforcé de reproduire cette façon si particulière de s'exprimer qu'avaient les acteurs des années 30 à 50. Petit bémol pour Blake Lively, reléguée au rang de belle blonde qui se doute à peine des cachoteries de son mari, incapable d'oublier sa toute première conquête. 

Tout aussi savoureuses sont les scènes de la vie des "petits" de New-York, la famille que Bobby a laissé derrière lui pour aller jouer dans la cour des grands. Dans les quartiers insalubres de la Grosse Pomme, les répliques les plus acerbes et les plus pertinentes fusent, Woody Allen n'y est pas allé avec le dos de la cuillère pour se moquer de ces juifs à la limite de l'hystérie. On y aperçoit par flash le monde de la pègre, qui n'est pas sans rappeler les films de Martin Scorsese. Et c'est là que se joue toute la saveur du film...


Seulement, le chassé-croisé amoureux de la trame principale finit par lasser car c'est bel et bien la vie des personnages secondaires qui nous captive. Les affres du gangster Ben (Corey Stoll) qui ne manque jamais une occasion de s' "expliquer" avec un voisin ou un malfrat qui a pu faire du tort à sa famille, semblent bien plus passionnantes que le monde superficiel du cinéma. C'est donc assez dommage que Woody Allen n'ait tissé cette intrigue qu'en toile de fond, car c'est de ce côté qu'on aurait aimé en savoir plus. Non seulement la famille de Bobby représente à la fois le comic relief et les sidekicks truculents, mais ils sont aussi plus humains, plus proches de nous et bien vite, les tribulations de Bobby qui évolue au sein d'un environnement frivole nous lassent...
L'équipe du film à Cannes

A sujet illusoire, film inconsistant. Ne vous méprenez donc pas sur les critiques dithyrambiques. En réalité, Café Society met un peu mal à l'aise car, si Woody Allen affirme détester la Californie "tout, jusqu'au café, a comme un goût de fraise Melba", l'extrême esthétisation et l'onirisme de ses paysages vous évoquent inlassablement l'admiration, voire une pointe de jalousie. Woody Allen, en dehors ou retiré volontairement du système ? On n'y croira que très peu. C'est d'ailleurs ce que reflètent les rares et excellents moments dédiés à la petite famille juive new-yorkaise. En d'autres termes, Woody Allen a voulu jouer aux Lubitsch, aux Billy Wilder, et il a échoué, même si ça n'est que de très peu. 

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