mercredi 13 décembre 2017

L'art de la période victorienne, ce Mal Armé


Sur la page web du Louvre consacrée à l’art britannique dans les collections françaises, le conservateur adjoint au Dallas Museum of Art, Olivier Meslay, déclare que la majorité des œuvres sont « inconnues et mal identifiées »[1]. Cette remarque semble d’autant plus justifiée si l’on prend en compte l’accueil réservé aux arts visuels de l’époque victorienne, volontiers perçus comme sentimentales ou excentriques tant par le grand public que certains professionnels, en particulier Outre-Manche. Plus encore, la représentation des femmes dans la seconde moitié du 19ème siècle est souvent considérée comme kitsch ou relevant du mauvais goût, à l’image des illustrations figurant sur les boîtes de friandises Quality Street[2].

 
De par son insularité et son histoire, la peinture victorienne a longtemps pâti d’une mauvaise réputation. Elle a notamment été considéré comme inférieure au regard de ce qui était estimé comme les courants dits « modernes » en Europe (le réalisme, le naturalisme et l’impressionnisme). En France, la méconnaissance de la peinture victorienne a conduit la plupart des spectateurs à limiter celle-ci aux tableaux des préraphaélites. Parce que leurs visions oniriques d’une femme fantasmée sont bien éloignées des nus charnels de Gustave Courbet ou des élégantes parisiennes qui peuplent les toiles impressionnistes, bien peu de musées en France se sont intéressés aux arts visuels de l’époque victorienne jusqu’aux années 2000 : on compte ainsi peu d’achats et d’expositions sur le sujet.

Pourtant, les arts visuels de l’époque victorienne sont riches et divers, et ne sauraient se résumer à un courant ou une école. Encore aujourd’hui, nombreux sont les articles en français qui assimilent l’art victorien aux préraphaélites, aux « olympiens » ou aux « esthètes », version anglo-saxonne des symbolistes français. C’est, bien entendu, une considération erronée. Ceci dit, rappelons que le mouvement préraphaélite, s’il a connu plusieurs souffles ou « générations », comme se plaisent à l’affirmer plusieurs historiens d’art, n’a en réalité duré que quelques années à proprement parler (de 1848 à 1853, pour être exacte). La confrérie préraphaélite et l’Aesthetic Movement  paraissent en effet avoir été les courants les plus identifiables à travers leur opposition aux enseignements de la Royal Academy. Il est cependant difficile de cataloguer leurs peintres au sein d’une école, parce que ceux-ci se sont inspirés de sources locales et d’origine étrangère, mais aussi en raison de la revendication par chaque artiste d’une certaine singularité (comme Dante Gabriel Rossetti, Edward Burne-Jones ou Aubrey Beardsley).
La peinture d’histoire, le portrait, le paysage et la peinture de genre ont bénéficié des avancées scientifiques et furent marqués par les transformations sociales de l’époque, telle la mainmise de commanditaires privés sur le marché de l’art. Le succès de la peinture de genre sous le règne de Victoria a été à l’origine d’une production foisonnante de scènes de famille ou de représentations dites « narratives », censée attirer un public bourgeois. Ce type d’œuvres, vestige d’une culture de masse naissante, a pendant longtemps été dénigré par la critique, alors même qu’elles ont représenté une étape décisive dans l‘évolution des arts du 19ème siècle. 

Henry Treffry Dunn, Dante Gabriel Rossetti dans son salon à Cheyne Walk,
lisant ses poèmes à Theodore Watts-Dunton
, vers 1882
Gouache et aquarelle sur papier
Les amateurs d’art se sont progressivement affranchis des hiérarchies établies par les institutions officielles pour collectionner aquarelles, illustrations ou gravures, techniques jugées moins « nobles », mais qui connurent une vogue de plus en plus affirmée. L’essor de la photographie à la fin du siècle permit aux artistes de composer des études rapides de leur sujet et de s’inspirer des canons de peinture dans le but de rivaliser avec ces derniers sur le plan esthétique. Cependant, même au 19ème siècle, les œuvres d’art considérées comme « anecdotiques » n’étaient guère appréciés des collectionneurs, aussi parvenus soient-ils. De manière générale, la progressive démocratisation de la vie sociale grâce à l’étendue du droit de vote a permis aux valeurs bourgeoises de dominer la morale de l’époque : effort individuel, respectabilité, sens aigu du devoir et de la famille sont des mots d’ordre auxquels ils ne faut pas faire défaut. La bourgeoisie moyenne, constituée de professions libérales, de marchands et du clergé, doit pourtant faire montre de son capital, en achetant ce type d’œuvres « populaires » ou en subvenant aux besoins d’un artiste attitré.
Illustration de Jane Eyre par Edmund Garrett
 Tout au long du 20ème siècle, la littérature victorienne a remporté les suffrages d’un public étranger. Elle est notamment célébrée pour ses romancières prolifiques qui s’attaquent aux sujets de société (Elizabeth Gaskell) ou celles qui préfèrent aborder des thèmes plus troublants comme la folie ou l’angoisse (Emily Brontë). Enfin, la littérature victorienne se distingue par ses héroïnes indépendantes qui bravent les interdits moraux pour affirmer leurs convictions (Jane Eyre, Charlotte Brontë). Malheureusement, la représentation de la femme dans la peinture victorienne n’a pas joui d’une aussi bonne réputation. Ce n’est que récemment que des critiques d’art Outre-Manche se sont mis à reconnaître que, si l’ère victorienne a largement contribué à l’entrée des îles britanniques dans l’ère moderne, sa production visuelle a pu entraîner une considération assez bancale de la féminité auprès de professionnels et de spectateurs étrangers. En effet, la femme revêt la forme de déesse, d’héroïne littéraire ou même, vers la fin du siècle, de créature maléfique. Sa pose est souvent rêveuse et contemplative. Dans la peinture de genre, c’est son appartenance à sa classe qui s’affirme, à travers son rôle maternel ou la richesse des toilettes qui dénotent son statut social. S’il est difficile de parler de réalisme comme nous l’entendons en France, c’est parce que les arts visuels relèvent d’un enseignement moral. Cela explique en partie la difficulté pour les artistes britanniques de peindre le nu féminin.
William Mulready, Intérieur comprenant le
portrait de George Sheepshanks chez lui à
Old Bond Street

Huile sur panneau, 1832 - 1834
Victoria and Albert Museum, Londres
En revanche, les scènes d’intérieur qui mettent en valeur famille (femme et enfants pour la plupart) et possessions matérielles (tableaux, meubles de palissandre) comptent parmi les plus prisées. Le tableau ci-contre, Intérieur comprenant le portrait de John Sheepshanks chez lui à Old Bond Street est parfaitement représentatif du genre. William Mulready fait partie de ces artistes qui se constituèrent une petite fortune en alimentant le marché de l’art d’œuvres recherchées par les nouveaux membres de la classe moyenne. La demande est très forte : pour faire montre de leur richesse et de leur goût au sein de leurs nouvelles demeures cossues, ces derniers achetaient tableaux, gravures et aquarelles ensuite exposées dans le salon et le vestibule. Le sujet du tableau (subject-matter) est au centre des préoccupations des artistes victoriens, d’où le succès des peintures de genre. 
Dans son anthologie consacrée à la peinture victorienne, Lionel Lambourne affirme que, selon les critiques d’art et les directeurs de la Royal Academy, la narration est un des critères dominants d’une composition réussie[3]. Les narrative paintings ou œuvres qui mettent en scène un récit (forme plus ou moins dégradée de la peinture d’histoire[4]) transmettent au spectateur une vignette dans la vie des personnages de la composition. En ce sens, le rôle de l’artiste n’est pas si éloigné de celui de l’écrivain qui se doit d’observer caractéristiques, soucis et travers moraux de la société qu’il côtoie.
Walter Sickert, La Hollandaise, vers 1906
Huile sur toile, 51, 1 x 40, 6 cm
Tate Britain, Londres
Les arts visuels de l’époque victorienne semblent avoir eu une certaine résonance auprès des mentalités de mécènes, artistes et modèles britanniques jusqu’à la fin du 19ème siècle. En revanche, la Première Guerre Mondiale et l’avènement de courants artistiques d’envergure européenne tels l’expressionnisme ou le cubisme ont considérablement érodé la popularité de ces œuvres, dont les sujets paraissaient bien éloignées des considérations modernes. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la représentation de la femme dans la peinture victorienne est jugée obsolète, à l’encontre des revendications féministes de mouvements artistiques modernistes tels le Bloosmbury Group (1905 – 1930s) ou le Camden Town Group (1911 – 1913). Le postimpressionniste Walter Sickert, membre de ce dernier, montre la chair féminine de façon crue, voire indécente. Il peint régulièrement des prostituées qu’il rencontre à Camden, le quartier alors pauvre de Londres.




C’est dans les années 1970 que le mouvement préraphaélite connut un regain d’intérêt en Grande-Bretagne (après être tombé en désuétude au début du 20ème siècle), probablement parce que les tableaux de la confrérie faisaient écho aux révolutions sociales de l’époque, et ce principalement au sein de la contreculture psychédélique (Jimmy Page, le guitariste du groupe de hard rock Led Zeppelin, retrace son acquisition de trois tapisseries de Burne-Jones en 1978 sur le site web de la Tate[5]). En s’intéressant à la passion des victoriens pour l’imaginaire, des collectionneurs anglais comme Jeremy Maas (1928 – 1997) et Christopher Wood (1942 – 2009) ont publié essais et livres d’art qui ont permis aux préraphaélites, symbolistes et artistes des fairy paintings d’entrer au panthéon de l’art des îles britanniques. Progressivement, cette ouverture s’est étendue aux autres mouvements et genres de l’époque victorienne, ainsi qu’aux collectionneurs et musées étrangers. De grands mécènes et directeurs de galeries ont ainsi enrichi les collections américaines d’œuvres de la période victorienne.
John Anster Fitzgerald, Titania et Bottom, Scène tirée du
Songe d'une nuit d'été, années 1860
44,4 x 68 cm

Certains tableaux issus de collections anglaises, s’ils semblent particulièrement propices à convoquer l’atmosphère de l’ère victorienne dans l’esprit des spectateurs, paraissent également représenter l’art britannique dans un sens plus large. Ophélie de John Everett Millais et la Lady of Shalott de John William Waterhouse, comptent parmi les ‘stars’ de la Tate Britain à Londres : chaque fois qu’un de ces tableaux n’est pas exposé, les visiteurs s’enquièrent auprès des gardiens pour savoir où il se trouve. Ce sont ces deux tableaux dont les produits dérivés sont les plus recherchés à la boutique (marque-pages, puzzles, aimants, reproductions). En 1999, note Peter Trippi dans sa monographie sur Waterhouse, la boutique du musée n’a vendu pas moins de 27 600 cartes postales figurant une reproduction de cette héroïne des légendes arthuriennes. La culture populaire s’est réapproprié Ophélie et la Lady of Shalott, au préalable plutôt destinés à un public capable de reconnaître la référence littéraire. Leurs produits dérivés contribuent à renforcer l’identité de marque du musée : Ophélie, le tableau le plus connu de Millais, a été choisi pour la campagne publicitaire de la rétrospective consacrée à l’artiste fin 2007. Les méthodes utilisées par les institutions culturelles pour rendre accessible l’art victorien (que ce soit au sein de leurs espaces ou grâce à leurs sites Internet) sont cruciales pour comprendre l’évolution de sa perception. Ainsi, l’utilisation des nouvelles technologies par les musées et galeries a engendré un changement radical dans la présentation des collections, pour attirer un public plus large. Ce bouleversement pourrait expliquer en partie l’intérêt que celles-ci suscitent.

John William Waterhouse, La Dame d'Astolat, 1888
Huile sur toile, 153 x 200 cm
Tate Britain, Londres

Cette fascination pour la culture visuelle de l’époque victorienne se traduit également par le florilège de sites web que l’on trouve sur le sujet, souvent dirigés par des jeunes filles ou femmes. Enfin, n’oublions pas l’impact de la culture populaire à travers les costume period dramas[6], films et séries tels Desperate Romantics et The Young Victoria (2009 pour les deux) qui, s’ils proposent une vision édulcorée ou à l’inverse, choquante, des figures féminines principales de l’époque, permettent au grand public d’apprécier la vie bohème des artistes et leurs somptueux costumes.
 
La France, quant à elle, entretient avec l’art des îles britanniques des relations complexes et conflictuelles. L’influence de la peinture française a toujours été mieux appréciée en Grande-Bretagne que l’inverse. Mais la rivalité qui oppose ces deux pays a rarement été examinée sur le plan artistique. Depuis le 18ème siècle, il existe en réalité une fascination souvent dissimulée des français pour l’art britannique. Cela fait quelques années que nous assistons à une curiosité croissante pour l’art de la période victorienne, à travers de grandes expositions itinérantes telles « Une ballade d’amour et de mort : photographie préraphaélite en Grande-Bretagne » (2011, Musée d’Orsay), « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde » (2011 – 2012, Musée d’Orsay, avec un total de 400 000 visiteurs) et plus récemment « Désirs et volupté à l’époque victorienne » au Musée Jacquemart-André (2013 – 2014). On remarquera l’insistance des institutions culturelles sur les notions de volupté ou de décadence ainsi que les explications qui soulignent l’importance des influences françaises auprès des artistes anglais. S’il reste encore beaucoup à faire, on ne peut que louer l’audace des conservateurs et commissaires qui réalisent des expositions enfin consacrées uniquement à l’art de la période victorienne.

  

J’espère que ce dossier placé sous l’égide de la féminité vous permettra de réévaluer la production visuelle du 19ème en Grande-Bretagne, pour comprendre que derrière cet apparent sentimentalisme se dissimule angoisses et inquiétudes chères à la psyché anglo-saxonne. Les victoriens (et surtout les « victoriennes » !) que l’on a longtemps crus prudes et dominés par toute une série de stricts codes moraux, sont en réalité bien plus préoccupés par la sexualité que l’on imagine. Si bien des peintures de l’ère victorienne nous apparaissent comme inférieures aux chefs-d’œuvre de Monet et Renoir, rappelons-nous qu’il existe une autre façon de les regarder, car, tout simplement, elles nous racontent une micro-histoire, celle des collectionneurs, artistes et modèles de l’époque. Alors que la photographie n’en est qu’à ses balbutiements, ces œuvres demeurent tout autant de vignettes d’une société qui a connu des bouleversements politiques et culturels sans précédent. La représentation des femmes à l’époque victorienne témoigne bel et bien du passé, de leur mode de vie, leurs activités quotidiennes et leurs loisirs, auprès de leurs pairs d’une part, mais aussi auprès des classes laborieuses et ouvrières. En ce sens, les arts visuels de l’époque victorienne constituent un reflet plutôt fidèle de la condition féminine en Grande-Bretagne, car c’est la bourgeoisie qui fut à l’origine de ces bouleversements et put progressivement dominer le monde de l’art. Puisse cette série d’articles bousculer vos opinions et vous amener vers une toute autre vision de la femme à une époque où l’empire britannique peut se targuer d’être la première puissance mondiale sur le plan politique, économique et culturel.







[1] http://musee.louvre.fr/bases/doutremanche/contenu_a.php?page=1110&lng=0&
[2] Le terme allemand de kitsch est particulièrement approprié dans ce cas car il désigne à l’origine la consommation de produits culturels par une classe moyenne qui devient de plus en plus puissante grâce à l’industrialisation et l’urbanisation européennes au 19ème siècle. Or, la plupart des tableaux auxquels nous allons faire référence sont appréciés par la classe bourgeoise et moyenne en Grande-Bretagne.
[3] Lionel Lambourne, Victorian Painting, pp.5 – 13
[4] La peinture d’histoire désigne un genre pictural qui s’inspire de scènes issues de la Bible, la mythologie gréco-romaine, l’histoire antique ou l’histoire récente. Selon André Félibien, le théoricien du classicisme français, la peinture d’histoire est placée au sommet de la hiérarchie des genres (Conférence à l’Académie Royale de peinture et de sculpture, 1667). A l’époque victorienne, les enseignants de la Royal Academy de Londres considéraient encore ce genre comme le plus noble, même si la hiérarchie s’est progressivement estompée pendant la seconde moitié du 19ème siècle.
[6] Le costume drama ou historical period drama est un genre cinématographique et télévisuel dont le but est de transporter le spectateur dans une période donnée pour qu’il ait l’impression « d’y être ». Une attention particulière est accordée aux costumes et aux décors qui prennent autant d’importance que l’intrigue. Bien souvent, le film ou la série télévisée se permet plusieurs libertés avec les événements historiques pour mettre l’accent sur l’aventure ou la romance qui présentent un fort potentiel narratif. La série Desperate Romantics qui porte sur les débuts de la Confrérie préraphaélite, et met en scène une vision plutôt sex, drugs et rocknroll de ce courant artistique, en est un parfait exemple.




Bibliographie indicative
Anthologies et ouvrages généraux
Lionel LAMBOURNE, Victorian PaintingPhaidon Press, Londres, 1999 
Jeremy PAXMAN, The Victorians: Britain through the paintings of the ageEbury Publishing, BBC Books Londres, 2010
Christopher WOOD, The Pre-RaphaelitesWeidenfeld and Nicolson, Londres, 1981
Sites web
Films, séries
Desperate Romantics, dir. Peter Browker, BBC HD, 2009
The Young Victoria, dir. Jean-Marc Vallée, GK Films, 2009



Victorian Women: Préface

John Everett Millais, Ophelia, 1852
Huile sur toile, 76 x 112 cm
Tate Britain, Londres
Il y a quelques années, alors que j’effectuais mon second séjour à Londres, je suis tombée en admiration devant une toile de la Tate Britain, musée que je visitais pour la première fois. Le tableau représentait une mince jeune fille à la peau pâle et aux paupières lourdes. Ses yeux bleu myosotis semblaient perdus dans le vague, tandis que ses cheveux roux et sa robe flottaient dans l’eau de la rivière, emportés par le courant. Entourée de guirlandes de fleurs, la bouche entr’ouverte, elle chantait. Il ne m’a pas fallu plus de quelques secondes pour reconnaître Ophélie, la bien-aimée d’Hamlet conduite au suicide par la folie simulée du personnage éponyme, une héroïne shakespearienne dont j’avais aperçu l’œuvre en cours de lettres lors de ma licence (mais, soyons honnête, sans vraiment y prêter attention).
 
Si l’idée de mise en image de mythes littéraires au sein de l’aventure préraphaélite m’a tout particulièrement séduite, je suis me suis progressivement laissée charmée par les œuvres de ces jeunes anglais téméraires qui désiraient révolutionner le monde de l’art. Mieux encore, c’est cette visite à la Tate Britain qui m’a conforté dans mon désir de travailler en musée ou galerie, alors que mon parcours universitaire me dirigeait vers une carrière de professeur.
C’est grâce à un livre poussiéreux déniché dans une vieille bibliothèque que j’ai pu découvrir la fascination que ce type de peinture avait exercée sur ma grand-mère. Ce n’était donc pas sans une certaine émotion que j’ai feuilleté cet ouvrage qui m’emportait dans le paradis terrestre de Millais, Rossetti et Burne-Jones, peuplé de créatures enchanteresses issues des plus grands canons de la littérature européenne. D’une certaine manière, c’était comme si, à l’instar de la notion de réminiscence évoquée par Platon, j’avais toujours su que ce penchant existait : la découverte du tableau d’Ophelie et du livre de Wood ne relevait pas de la pure coïncidence.
Dès lors, la boucle était bouclée : l’art de la période victorienne me permit de faire ce lien si naturel entre mon goût pour la littérature anglaise et mon appétit naissant pour la culture visuelle au sens large. Petit à petit, j’ai découvert la peinture britannique, et surtout, celle du 19ème siècle. Si l’époque victorienne me passionnait déjà sur le plan littéraire, j’ai remarqué que sa production artistique était tout aussi singulière.

William Powell Frith, Vernisage à l'Académie Royale de Peinture, 1881
Huile sur toile, 60 x 114 cm, collection particulière

Mais c’était sans compter sur les questions d’amis et connaissances qui semblaient perplexes face à cet engouement. « Mais pourquoi tu n’étudies pas la peinture française, ou italienne ? C’est bien plus intéressant ! » faisaient partie des remarques les plus récurrentes. Heureusement, quelques proches m’ont encouragé en me montrant des toiles de Waterhouse, Frederick Lord Leighton, Millais… J’ai alors commencé à me demander pourquoi l’art de cette période paraissait si éloigné de nos considérations modernes. Au travers de mes lectures, je me suis rendue compte de la richesse de cette époque sur le plan artistique, qui m’a accompagnée jusqu’à la fin de mes études de Master et fait encore aujourd’hui partie de mes domaines de prédilection.
 
Ce dossier ne présente pas une liste exhaustive des problématiques portant sur la condition féminine à l’époque victorienne. Il faudrait plus le considérer comme une entrée en matière au sein de différentes thématiques qui préoccupent les artistes de l’époque mais qui paraissent aussi présenter une résonance chargée de significations pour les spectateurs contemporains que nous sommes. Vous remarquerez que les victoriens exaltent plusieurs héroïnes et canons esthétiques. Certains acquièrent même un sens d’envergure nationale au sein de la pysché britannique. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une excellente lecture avant de vous plonger dans l’imaginaire des fascinants artistes du 19ème siècle anglais.