lundi 28 novembre 2016

William Blake, le génie du préromantisme anglais

William Blake
L'Ancien des Jours in Europe: Une Prophécie
Copie D du British Museum, 1794
Victor Hugo, Pieuvre Géante, 1866
Extrait des Travailleurs de la mer
« Le plus agaçant avec Victor Hugo, c’est que non seulement c’est un grand écrivain, mais c’est aussi un dessinateur de génie » a un jour affirmé ma professeure de Lettres Classiques et de Civilisation. 
Outre-Manche, on pourrait en dire autant du poète, graveur et artiste William Blake (1757 – 1827). Malheureusement négligé de son vivant et perçu comme un excentrique, voire un halluciné, Blake est à présent considéré à sa juste valeur, comme l'une des figures majeures du Préromantisme anglais. En Grande-Bretagne, les idéaux révolutionnaires de l'artiste n'étaient guère appréciés de ses contemporains: Blake aimait à provoquer dans les rues du quartier de Southwark, au sud de Londres, en arborant une flamboyante cape rouge. En 1789, année symbolique, Blake publie Chants d'innocence (Songs of Innocence). Influencé par Le Paradis perdu de Milton, ce recueil de poèmes constitue un manifeste déguisé en faveur de la Révolution française. Il y est question d'espoir, d'état de nature antérieur au péché. Cinq années plus tard paraît Chants d'expérience (Songs of Experience). Blake est dévasté. La Terreur règne en France depuis 1792. Toutes les espérances d'égalité sociale sont mises à mal par les Montagnards. Au fil des poèmes, Blake chante avec douleur la perte de l'harmonie originelle par l'instauration de lois arbitraires et de régimes politiques corrompus. 




Chez Blake, prophéties, réalité sociale et échos bibliques se mêlent pour construire une grande fresque épique qui relate la grandeur et décadence du genre humain. Entre 1790 et 1793, Blake rédige Le Mariage du Ciel et de l'Enfer. Ce long poème narratif est composé de prose, de vers mais aussi d'illustrations produites par l'auteur lui-même. Car si Blake est surtout connu pour sa poésie, son œuvre peint est également remarquable. L'anglais illustre ses propres écrits de gravures, aquarelles et eaux-fortes qui font de ses livres des œuvres d'art à part entière. 
Refusant de se proclamer artiste au même titre que ses confrères de la Royal Academy – il s'est d'ailleurs attiré les foudres de son président, Sir Joshua Reynolds - Blake adopte une méthode plus artisanale, empruntée au Moyen-Âge: il réalise des manuscrits illuminés en écrivant ses poèmes directement sur des plaques de bronze, à l'aide de stylets et de pinceaux trempés dans un matériau qui résiste à l'acide, ensuite employée pour renforcer le relief du dessin d'origine. Il évite ainsi délibérément la technique de l'huile, mais s'acharne à peindre dans la tradition du grand genre, la peinture d'histoire, en s'inspirant des textes fondateurs et d'auteurs mythiques: la Bible, Dante, Shakespeare et Milton. Selon Blake, les techniques artistiques dites « mineures »sont tout aussi propices à l'illustration des poncifs de la littérature occidentale. 
Le Mariage du Ciel et de l'Enfer est réputé pour les proverbes ou aphorismes du Ve chapitre qui explore l'opposition entre le Bien et le Mal. Blake y reconstruit la théogonie biblique de façon inversée: l'Enfer n'est pas le lieu des supplices, mais celui des possibles, au sein duquel se déploie un énergie quasi-dionysiaque, à l'encontre de la morale puritaine de son époque. Une des illustrations les plus connues du recueil représente le roi Nabuchodonosor II errant dans le désert, à quatre pattes. L'hybride entre l'humain et l'animal est accentué dans la version à l'aquarelle, qui dépeint les membres du roi babylonien dotés de griffes acérées. 
Nabuchodonosor, 1796 - 1805
Aquarelle, 54,3 x 72,5 cm
Tate Britain
Les Géants et les Titans, 1796
British Museum

Dans la section 'A Memorable Fancy', le narrateur se retrouve dans La Grande Imprimerie de l'Enfer, spectateur du savoir transmis de génération en génération. Au terme de son périple, il découvre les Géants et Titans responsables de la création du cosmos, reclus et repliés sur eux-mêmes. Ils semblent être enchaînés. Le texte fait allusion à la mythologie gréco-romaine, comme en témoigne la conception de l'Enfer par Blake. Or la figure centrale ressemble à un patriarche chrétien. Plus loin, Blake mentionne en effet Jesus et ses disciples. Blake n'a pas son pareil pour insuffler à son œuvre un syncrétisme religieux qui lui est unique. 
Thomas Phillips, William Blake, 1807
Huile sur toile, 92 x 72 cm
National Portrait Gallery
William Blake demeure l'exemple parfait de l'artiste qui a mis ses mots – ou ceux d'autres auteurs – en image. Ses illustrations se distinguent par une puissance visuelle rare, soulignées grâce à une palette novatrice et des modèles aux poses tourmentées. Il a eu une influence considérable dans l’histoire culturelle anglophone, du XIXe jusqu’à nos jours. Il fait figure de prophète visionnaire parmi les poètes de la beat generation. La contre-culture des années 60 s’est réappropriée les vers et l’iconographie de l’artiste, l’exemple le plus frappant étant le groupe de rock psychédélique The Doors, dont le nom est directement tiré du Mariage du Ciel et de l’Enfer : ‘if the doors of perception were cleansed, everything would appear to man as it is, infinite’
Plus récemment, c’est l’auteur britannique de fantasy, Phillip Pullman, qui s’est inspiré des visions cauchemardesques du poète pour sa trilogie A La Croisée des mondes (1995 – 2000). Il rend hommage à Blake grâce aux citations de vers qui apparaissent en exergue de nombreux chapitres, à l'instar des auteurs de romans gothiques qui placent leur œuvre sous l'égide des monuments de la littérature européenne. Tracy Chevalier (La jeune fille à la perle, 2000) s'inspire directement de Songs of Innocence et Songs of Experience pour la trame de son roman L'innocence (2007). Et c’est sans compter sur les romans graphiques et bandes dessinées qui puisent dans l’inspiration créatrice de ce révolutionnaire dans l’âme. 

                                       

Sources: Communiqué de presse de l'exposition William Blake du Petit Palais, cours d'hypokhâgne, The Doors (album éponyme), L'innocence de Tracy Chevalier, Wikipedia