mercredi 21 septembre 2016

Le Lorrain et le jardin anglais


Le Lorrain, Paysage pastoral, 1644
Huile sur toile, 98 x 137 cm
Musée des Beaux-Arts de Grenoble

"Rigide et menaçant"
Voici les deux qualificatifs que Nietzsche aurait employés pour décrire un tableau du Lorrain. Lequel ? Cela, l'histoire ne le dit pas. Mais ce qui est certain, c'est que les toiles de Claude Gellée semblent susciter la plus vive émotion, ce qui est d'autant plus surprenant lorsqu'on sait que le philosophe allemand se plaisait à répéter qu'il n'aimait guère la peinture. 

Claude Gellée, dit "Le Lorrain" est né au château de Chamagne en 1600. Troisième d'une famille de cinq enfants, le Lorrain ne fera jamais de détour par la capitale. Sa formation artistique débute dès le plus jeune âge, alors que le petit Claude parcourt bois, champs et vallons de l'actuelle Moselle. Alors apprenti pâtissier, le Lorrain quitte très tôt sa région d'origine pour se rendre en Italie. C'est en travaillant comme cuisinier auprès du maniériste Agostino Tassi (1556 - 1644) qu'il apprend à peindre. Il effectue un séjour à Naples entre 1617 et 1621 dans l'atelier du paysagiste Godefroy Walss. Le Lorrain ne revient que brièvement en France par l'Italie puis l'Allemagne (1625 - 1627) pour collaborer avec le peintre baroque Claude Déruet (1558 - 1660), afin de décorer l'église des Carmélites. Il s'établit ensuite à Rome de façon définitive. Admirateur d'Annibal Carrache (1560 - 1609), il acquiert peu à peu son propre style dans lequel le travail sur la lumière et les effets atmosphériques auront un rôle majeur. 

Annibal Carrache, La Fuite en Egypte, 1603
Huile sur toile, 122 x 230 cm
Galerie Doria-Pamphili, Rome
Le Lorrain reçoit d'abord des commandes du pape Urbain VIII. Après sa rencontre décisive avec Nicolas Poussin (1594 - 1665), il peint de nombreux ports imaginaires et des paysages de ruines néo-classiques. La plupart représentent une scène de crépuscule, baignée par la lumière rasante d'un soleil couchant situé dans la ligne de fuite de la composition, placée à hauteur d'oeil. C'est à cette époque qu'il produit des scènes d'embarquement (Port de mer au soleil couchant, 1639; Ulysse remet Chryséis à son père, 1644; Le Débarquement de Cléopâtre à Tarse, 1642). 
Nicolas Poussin, Et in Arcadia ego, 1638 - 1640
Huile sur toile, 85 x 121 cm
Musée du Louvre 
A partir de 1645, le Lorrain puise son inspiration dans les sources antiques ou bibliques. La lumière de ses tableaux devient plus uniforme et paisible (Marine avec Apollon et la Sybille de Cûmes entre 1645 et 1650; Mariage d'Isaac et Rebecca, 1647; L'Embarquement de la Reine de Saba, 1648). Les scènes de pastorales semblent directement issues des Géorgiques de Virgile. Vers la fin de sa carrière, la palette du Lorrain se charge de nuances argentées et ses titres endossent une portée plus symbolique (Paysage avec Tobie et l'ange, 1663; Paysage avec Enée chassant sur la côte de Libye, 1672). L'artiste meurt de la goutte en 1682, avant d'être inhumé à Rome dans l'église Trinita dei Monti. 

Le Lorrain, Embarquement de la reine de Saba, 1648
Huile sur toile, 149 x 194 cm
National Gallery, Londres

Entre onirisme et poésie, la mise en lumière des toiles du Lorrain accorde au paysage une place prépondérante, alors qu'il sert pourtant de simple cadre à une scène biblique ou mythologique. La référence littéraire n'est en réalité qu'un prétexte à l'expérimentation picturale. Ainsi, même les personnages de premier plan sont de petite taille. 
La reconnaissance du Lorrain Outre-Manche est telle que les britanniques le désignent seulement par son prénom, "Claude". Ce dernier devient rapidement synonyme d'esthétique du pittoresque. Au XVIIIème, l'expérience de la beauté de la nature remet en cause les valeurs du rationalisme célébrées par les Lumières. La notion de picturesque est introduite par l'artiste William Gilpin en 1782 dans un manuel de tourisme qui préconise aux voyageurs d'admirer le paysage anglais selon cette esthétique naissante. Le picturesque se situe à la charnière entre le beautiful et le sublime. Ces deux concepts définis par l'essayiste Edmund Burke (1729 - 1797) dans son traité A Philosophical Enquiry into the Origin of our Ideas on the Sublime and the Beautiful (1757) posèrent les jalons de la sensibilité préromantique en Grande-Bretagne. Selon Burke, ils répondent à des critères bien différents. L'expérience du beau provient de la contemplation de la belle forme, suscitant des sentiments agréables et apaisants. En revanche, l'expérience du sublime est considérée comme trop imposante et ne peut que provoquer terreur et épouvante. Le motif typique du sublime, c'est l'image du spectateur debout au bord d'une falaise escarpée, tel le modèle de dos du Voyageur au-dessus de la mer de nuages

Caspar David Friedrich, Voyageur au-dessus de la mer de nuages, 1817 - 1818
Huile sur toile, 94,4 x 74,8 cm
Kunsthalle de Hambourg

Contrairement à l'idéal prôné par Burke, la variété et l'irrégularité de la campagne anglaise, ses phénomènes météorologiques changeants et les ruines deviennent les poncifs du pittoresque. Il ne faut pas inspirer au spectateur l’horreur et la fascination, mais le charmer, lui plaire et même le surprendre[1]. Le picturesque devient un idéal typiquement local afin de faire concurrence aux règles classiques de la pastorale adoptées par les Maîtres français et italiens. 
Attribué à Thomas Gainsborough
L'homme au miroir noir
British Museum
Selon William Gilpin, les toiles du Lorrain et le Lake District (Nord-Ouest de l’Angleterre) sont particulièrement propices à l’expression du pittoresque. Les artistes préromantiques anglais parcourent cette région et peignent sur le motif grâce au miroir noir (aussi appelé « miroir du Lorrain »). Cet accessoire légèrement convexe teinté au noir de fumée leur permet de réaliser des esquisses rapides d’un site donné en dissolvant les tonalités, présentant ainsi un cadrage optimal de la scène isolée de son contexte, ensuite retravaillée en atelier.

A la fin du XVIIIème siècle, la « querelle du pittoresque » fait rage en Angleterre. Nombreux sont les  peintres et philosophes qui préfèrent la grandiose esthétique du sublime louée par Burke à l’idéal du picturesque qui suppose une mise en scène du spectateur. Les tableaux du Lorrain présentent une version idéalisée de la nature, ce que les paysagistes britanniques tentent de recréer en aménageant leurs jardins comme une composition picturale. Le jardin à l’anglaise se développe en effet depuis le début du XVIIIème siècle. Son modèle se répand progressivement en Europe, si bien que sa vogue surpasse celle du jardin à la française. A travers la réalisation des jardins de Versailles, le Nôtre, influencé par la peinture classique, avait déjà imposé les règles de l’art floral et paysager. Or, leur symétrie excessive fut considérée en Grande-Bretagne comme trop révélatrice de la domination de l’homme sur la nature. 



Des paysagistes anglais tels que William Kent (1685 – 1748) et Capability Brown (1716 – 1783) recherchèrent l’harmonie des coloris et des volumes, ainsi que l’effet de profondeur inspiré de la technique du repoussoir établie par le Lorrain : ce ne sont plus les allées rectilignes qui organisent la composition, mais l’utilisation de bosquets d’arbres en bord de sentiers qui entraînent le regard du promeneur vers l’horizon. Ce dernier a donc l’impression de contempler une nature vierge de toute intervention humaine, alors que l’English landscape garden requiert une organisation méticuleuse de la part du paysagiste, ainsi qu’un entretien régulier. Le domaine de Stourhead (Wiltshire), classé au patrimoine des sites historiques britanniques, demeure à ce jour l’un des exemples les plus célèbres du jardin à l’anglaise conçu à partir des paysages imaginaires du Lorrain.
 

 
L’année 1794, le Baron Sir Uvedale Price vilipenda le paysagiste et architecte Lancelot Brown dans son Essay on the Picturesque, affirmant que les formes régulières et sinueuses de ses jardins semblaient bien artificielles pour l’œil aguerri d’un esthète. Selon la première génération de Romantiques, le paysage doit refléter les passions humaines et provoquer les sensations attendues au contact d’une nature sauvage, sublime. Des spécialistes tels que Price préfèrent les plans plus grandioses de certains jardins anglais à ceux de Brown, que celui-ci perçoit comme une métaphore du tableau, un mode de rapport à la nature idéal qui va jusqu’à la dépasser : ses landscape gardens supposent une mise en scène du spectateur qui participe à cet art de la composition.

Nathaniel Dance, Capability Brown, vers 1773
Huile sur toile, 75,2 x 63,2 cm
National Portrait Gallery
Devenu depuis lors le paysagiste architecte le plus célèbre des îles britanniques, il reçut le surnom de « Capability Brown » : selon la légende, Brown assurait à ses mécènes que l’aménagement paysager serait possible grâce à l’exploitation du potentiel du site (good capability). Horace Walpole (1717 - 1797), l’initiateur du roman gothique anglais et auteur du Château d’Otrante (1764) caractérisait lui-même Brown de very able master (grand maître). La popularité de Lancelot Brown déclina rapidement après sa mort, avant de connaître un regain d’intérêt à l’époque edwardienne.

Né dans le village de Kirkharle (comté de Northumberland), ce membre de la gentry rurale entra en apprentissage chez le propriétaire foncier Sir William Lorraine qui possédait le domaine de Kirkharle Hall. On lui enseigna la composition florale et végétale. Quelques années plus tard, il reçut sa première commande et dut concevoir les plans d’un lac pour le parc de Kiddington Hall en Oxfordshire. En 1739, Brown s’installa à Stowe dans le Buckinghamshire, au service de Lord Cobham. Deux ans après, il fut promu au titre de jardinier en chef du domaine.
C’est dans les années 1740 – 1750 que le succès de Brown atteignit son apogée et qu’il reçut de nombreuses commandes de la part de familles anglaises fortunées. A cette époque, Brown emménagea à Hammersmith, proche de marchands de graines réputés et de clients potentiels. Ses voisins, la famille Holland, avec qui il se lia d’amitié, furent également décisifs pour recommander Brown à de riches mécènes. Les Holland avaient plusieurs connections de qualité dans le monde de l’architecture, et c’est ainsi que Brown put réaliser lui-même les plans de maisons, rotondes et autres bâtiments. Il considérait à ce titre la conception d’un domaine foncier comme un art à part entière.



Croome Court (ci-dessus), qui appartenait aux Coventry, devint le premier projet marquant dans la carrière de Brown. A partir de 1751, il employa tout son génie à créer un parc aux proportions monumentales. Les pelouses s’étendent depuis le manoir aux valons de la rivière Croome, en réalité un canal creusé par les ouvriers de Brown. En 1764, Capability Brown fut nommé Maître Jardinier à Hampton Court par George III.

Plan de Badminton House au XIXe siècle
A Croome et pour la conception d’autres domaines, Brown préconisa la plantation de nombreux arbres (on murmure que plus de 100 000 furent plantés à Fisherwick). Brown agrémentait les collines de denses bosquets pour renforcer le panache de certains terrains en pente. Il avait l’habitude de favoriser les espèces anciennes et de les arranger en massifs plutôt que de planter quelques spécimens çà et là, ce qui avait rencontré les honneurs des paysagistes de la génération précédente. Amoureux des cèdres du Liban, Brown s’évertuait également à promouvoir les espèces locales. Tout aussi significative était la présence de cours d’eau, qui apportaient lumière et reflets à l’espace tout en le rendant plus vaste. Brown produisait les plans de ses canaux pour qu’on puisse voguer sur ceux-ci tout en admirant la beauté du paysage.

Milton Abbey
Warwick Castle

L’idée de progression, de cheminement, est essentielle dans la conception des jardins de Brown. Il a développé sa propre esthétique à une époque où la vogue du jardin d’agrément s’essoufflait. A l’encontre du système géométrique classique, Brown tente de mettre en valeur certains points de vue remarquables, qui s’ouvrent sur des fenêtres pittoresques révélant tout à tour étangs, prairies et éboulis de rocailles. 
Salvator Rosa, Apollon et la Sibylle, 1657 - 1658Huile sur toile, 174 x 259 cm
Wallace Collection
Si les toiles du Lorrain influencèrent Brown pour la majeure partie de ses compositions, le paysagiste puisa également son inspiration dans les scènes tumultueuses du peintre Salvator Rosa (1615 - 1673) et l'art floral chinois. Brown a en effet substitué à la perspective optique de l’art classique la perspective atmosphérique de la peinture anglaise. Ce ne sont plus les allées qui organisent les plans de la composition, c’est la brume du lointain qui crée l’effet de profondeur. La poésie et l’aspect sauvage du lieu sont exaltés.
William Aikman, William Kent, vers 1723
Huile sur toile
National Portrait Gallery

Brown a conçu les plans de 170 jardins anglais. Sa célébrité a quelque peu éclipsée celle de l’un des créateurs majeurs du English landscape garden, William Kent (1685 – 1748), avec qui il travailla pour la conception du parc de Wakefield. La plupart des domaines et jardins de Brown sont aujourd’hui ouverts au public, propriété du National Trust.


Sources Internet : colloque international sur le pittoresque (Université Lille 3), cours de Master « Portraiture and Landscape in Great-Britain » (Université Paris 7), www.culture.vosges.fr, Encyclopédie de l’Agora, gardenvisit.com, www.larousse.fr, Musée du Louvre














[1] Eighteen century collections online : http://quod.lib.umich.edu




lundi 19 septembre 2016

Fantin-Latour au Musée du Luxembourg : à fleur de peau



Pois de senteurs, pensées, camélias, lys et autres tulipes... Les fleurs sont tout près. Il suffit de les voir pour les sentir. Vous pouvez presque les toucher. S'agit-il d'un réel bouquet ? Ne vous y trompez pas ! C'est bien une toile de l'inclassable Henri Fantin-Latour (1836 - 1904) qui se trouve devant vos yeux. Pour la première fois en France depuis 1982, le Musée du Luxembourg propose la rétrospective d'une oeuvre trop souvent méconnue. De Fantin-Latour, nous nous souvenons principalement des monumentaux portraits de groupes arborant les célébrités littéraires et artistiques du siècle. Et si nous avions tort ? Si, derrière ce voile de vie mondaine, s'esquissait le portrait d'un homme sensible, discret, qui aspire au calme et à la sérénité à travers l'art ? C'est ce que Laure Dalon (RMN), Xavier Rey (Musée d'Orsay) et Guy Tosatto (Musée de Grenoble) ont aspiré à nous signifier, à travers un parcours chronologico-thématique. 





"La Peinture est mon seul plaisir, mon seul but..."

Tout commence en 1850 dans l'atelier parisien d'Horace Lecoq de Boisbaudran. Au départ initié au dessin par son père, Fantin-Latour reçoit une éducation classique et copie avec ardeur les sculptures du Louvre. Mais ses tentatives de jeunesse aux Salons demeurent un échec. Fantin-Latour décide donc de partir pour Londres, où il rejoindra Whistler. C'est en Angleterre qu'il trouvera le succès et les honneurs, grâce notamment à ses natures mortes, très appréciées de la bonne société victorienne. 
L'Hommage à Delacroix, 1864
Huile sur toile, 160 x 250 cm
Musée d'Orsay

De retour à Paris, après avoir fréquenté brièvement l'atelier de Courbet, il devient membre du groupe dit "de 1863" puis du Cénacle des Batignolles d'où émergera l'impressionnisme, face auquel Fantin-Latour a toujours voulu se démarquer. C'est à cette époque qu'il produit ses toiles les plus célèbres telles L'Hommage à Delacroix.  Plus qu'une sanctification du génie romantique dont la mort fut trop peu commémorée, il s'agit de réunir sous son égide les plus grands artistes de la scène parisienne, gages de modernité. 
Les atypiques portraits de Fantin-Latour présentent une vision silencieuse du modèle, dans une composition au sein de laquelle la communication entre les sujets semble quasi-absente. Il y a dans la facture des portraits de Fantin-Latour une incroyable douceur qui rappelle le style de la peinture flamande, et même la rondeur du modelé de Vermeer. D'ailleurs, l'artiste se réclamait lui-même de nul autre que le maître hollandais, Rembrandt. 
Vient alors la consécration: très vite, Fantin-Latour abandonne les portraits de commande pour se tourner vers ses études botaniques qu'il épie tel un scientifique, les portraits de ses proches et les sujets d'imagination ou "fééries". Passionné de musique, Fantin-Latour tente dans les années 1870 de restituer sur la toile les oeuvres de Wagner, Berlioz et Schumann, avec un réalisme pour le moins déroutant, car au service de l'imaginaire.  L'Anniversaire (1876) donne lieu à de surprenantes expérimentations sur le plan pictural : au même titre que les esquisses, calques et pastels, les lithographies rehaussées de gouache participent entièrement à la préparation du tableau. 

                  

Pour s'assister dans son travail, Fantin-Latour réunit un fonds photographique d'une ampleur considérable, accessible dans la quatrième salle de l'exposition. Celui-ci, offert par sa veuve à la ville de Grenoble en 1921, est composé principalement de nus. Il n'était pas toujours aisé de trouver des modèles pour un usage privé, d'où la circulation clandestine de clichés caractérisés d'obscènes ou réalisés par des photographes accusés de proxénétisme (Gugliemo Plüschow). Et si Fantin-Latour pouvait ainsi aisément reproduire des poncifs de la sculpture occidentale ou même décalquer ses dessins directement sur le papier photographique, on découvre ainsi un aspect particulièrement intime de son oeuvre, comme en témoigne cette étude ci-dessous à la sanguine. Habituellement adepte du crayon gras ou du fusain, Fantin employait la sanguine pour fixer des attitudes, arrêter son regard sur le papier ou explorer des morceaux de corps. Comme un photographe. 


Torse de femme


On ne peut donc que déplorer, face à une exposition si réussie, l'absence de traductions en anglais, qui ne figurent que dans le livret. C'est d'autant plus dommage que, vu les liens que Fantin-Latour a crée avec l'Angleterre, en la personne de Whisler et du marchand d'art Edwin Edwards; nombreux auraient été les anglophones passionnés par le sujet. 

Vase aux pommes et feuillage, 1878
Huile sur toile
Fondation Bemberg, Toulouse
La relation rapprochée que Fantin-Latour nourrit avec l'Angleterre semble évidente étant donné la précision et le souci du détail avec lesquels il construit ses études de plantes. Formé à la peinture par les réalistes, Fantin-Latour est, à l'instar des anglais, un amoureux de la nature. Elle lui permet de reconstituer une vision fidèle de la réalité. Les compositions florales apparaissent telles la palette du peintre à la recherche de sa composition. Les natures mortes acordent un subtil effet de contraste à travers le travail sur les différentes textures, ô combien sensuelles.  A ce stade, je me permets de saluer l'excellente scénographie qui rend toute sa grâce à cette conception hédoniste de la nature. Lumière brillante et fonds noirs permettent d'apprécier ces petits formats à leur juste valeur. 
Autoportrait, 1860
Crayon noir rehaussé de blanc
Ce même souci de vérité se retrouve dans les portraits et autoportraits. Les conservateurs ont souligné la distance qui émane de ces toiles. J'ai pourtant trouvé que s'en dégage une impression de plénitude, en dépit de l'aspect de silhouette des personnages. L'effet de fumé et ce ton si singulier qui certifient la marque de fabrique de cet artiste évoquent un monde clos (point de paysages dans cet exposition, Fantin-Latour est un homme d'intérieur), entre nostalgie et épanouissement. Quelque peu ténébreux, ce regard (le sien) est pourtant doux. Mais celle qu'il a véritablement célébré à travers son oeuvre, si ce n'est la musique, c'est la femme. En prenant pour modèle son épouse et ses proches, Fantin-Latour sonde les mystères de l'intimité. Devant un chevalet, à la lecture, ses muses explorent la condition de l'artiste bourgeois bien conscient de son individualité et de sa mission. Dans chaque tableau, Fantin-Latour révèle ses talents de dessinateur, en élaborant sa composition à l'avance, selon un modèle de quadrillage très classique. Classiques aussi sont les références à la mythologie gréco-latine et nordique qui abondent : Fantin-Latour se perd dans ses fééries, en travaillant la toile au grattoir telle une lithographie, à l'aube d'un siècle naissant où il n'a plus grand-chose à faire. Du moins sur terre. 


Ariane abandonnée, 1899
Naturaliste, romantique ou symboliste ? Il semble que Fantin-Latour ait adapté son style à chaque genre et type de sujet. Tour à tour mélancolique, adorateur de la beauté féminine, témoin d'une fin de siècle et d'une bourgeoisie sur le déclin, Fantin-Latour est un artiste extrêmement prolifique, d'une grande sensibilité, quoique silencieux et marginal. Tel un observateur muet, il dissèque les travers de la nature, non sans une émotion certaine. 
J'ai particulièrement apprécié le parti-pris de l'exposition: sans s'encombrer de détails biographiques (on sait en réalité assez peu de choses sur ce peintre plutôt secret), on se concentre essentiellement sur la carrière artistique de Fantin-Latour, celui qui vivait dans un monde d'art et de musique, à cent mille lieues de l'agitation parisienne ambiante, ses révolutions picturales, ses guerres (en 1870 les Prussiens passaient par là), ses esclandres politiques. Au carrefour d'influences qui ont enrichi son oeuvre, Fantin-Latour a produit bien plus que des portraits de personnalités. En cela, le Musée du Luxembourg lui rend parfaitement justice. 


Un atelier aux Batignolles, 1870
Huile sur toile, 204 x 273 cm
Musée d'Orsay


   

mardi 6 septembre 2016

Why Chris Hemsworth's performance in the 'Ghostbusters' reboot matters

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While plenty of US fans have been excited about the new Ghostbusters movie, no one can deny this release fired up heated reactions and found its lot of e-haters. Half-way between nostalgia and conservative comments, the original fanbase was tremendously scared about the destruction of the dear, beloved movie that belonged to its childhood. Don't get me wrong, I'm the first one being skeptical about reboots, remakes and sequels. I came to dislike Finding Dory very much, smirked at the prospect of a 5th Indiana Jones film and don't even want to hear about the possibility of Beetlejuice 2

But let's face it, this passionate debate addressed one of the most current issues in use: gender equality. It is now an acceptable fact that in Hollywood, most lead roles and cues go to male actors. Funnily enough, this was less the case in the 40s, a time period that, despite its sexism, accepted more female directors in the studios. Recent polls demonstrate that the gender wage gap is increasingly wide. True, we're talking about already priviledged middle-class people who earn tons of money. But it doesn't mean that because of gender, an actress should be discriminated against and by her male counterparts. From Patricia Arquette's acceptance speech for Boyhood during the Oscars ceremony to Meryl Streep's master class in Berlin about Hollywood women leadership (directors and script-writing, mainly), this controversy has created a wide impact within the American film industry. 

However, most of the backlash didn't come from this inner industry. It was, in fact, initiated by a wider community of spectators: the hardcore fanbase. Why on earth didn't the fans accept their beloved characters to become females? There might be the positive discrimination aspect, to which, honestly, I couldn't agree more. I have to say I'm always uncomfortable about phenomena of communautarism, especially when it comes to change an original white middle-class character into a woman, gay or black one to make these minorities more visible. If such is the case, why wasn't this protagonist female, coloured or homosexual in the first place? 

The scriptwriters seem to have reacted to this kind of problem with a hilarious cue when actress Leslie Jones stage-dives at the rock gig... only to be carried on by no one, ending up on the floor: 
"Okay. So. I don't know if it's a race thing or a lady thing but I'm mad as hell" 
In doing so, this was particularly clever from director Paul Feig to shush the tremendous amount of passive agressive tweets on Leslie Jones' performance who had to quit Twitter. Her being the main target of Internet trolls made me realise that the backlash against the new Ghostbusters movie truly is sexist and racist. Besides, most of the criticism the franchise's new installment received was based on people's belief that the ghostbusters couldn't just be women. So there was much more than policital correctness going on. 

Actually, the movie was, to my great surprise, not that bad. I was a bit hesitant at first, I confess, but found myself laughing at most of the cheesy jokes (even if the very down-to-the-belt ones I didn't find funny at all). In that sense, it very much follows the first two installments of the franchise, which aim was to sell the very same item: a product. Ey, this is what capitalism is about baby, and a female sequel ain't going to change nothing about that. So obviously, you'll find many references to the first two movies, from the most cliché ones to other allusions to horror films. And cameos. Loads of them. In fact, I just loved how Paul Feig tried to discredit the whole cult going on around the franchise by making Bill Murray appear as Martin Heiss, the paranormal debunker. 


And who could be more apt at swaping down gender roles than talented actresses from the Saturday Night Live? Kristen Wiig is perfect as the stuck-up, would-be serious scientist, while Melissa McCarthy rocks as the crazy inventor. The only performance that put me off a little was Kate McKinnon's, whom, despite her gorgeous looks, makes it obvious she's gay in the film (which she is in real life). What I particularly enjoy about US comedy shows is that the industry actually showcases funny, talented women, if not sexy or feminist, while this is hardly the case in France. Take Tina Fey or fictional character Bridget Jones, for instance. The English speaking world's proven us that females can be simultaneously smart, witty, beautiful, women activists and make us laugh. 




But by reflecting about Ghosbuters' gender equity, I would like to focus on a character who's, to my mind, central to the movie: Kevin, the receptionist. Even his trade is something of a joke: seriously, how many times have you seen a receptionist or a secretary portrayed by a man in a movie? In that sense, picking up dashing, Australian Chris Hemsworth was a daring choice. Tall, handsome, muscular, blonde, blue eyes, but with no brains, Kevin is nothing like what you expect and plays a very unusual role: that of the male bimbo. Or the stupid Ken version of Barbie, if you prefer. 
From Legally Blonde to The House Bunny, Hollywood movies abund with stereotypical girls who seem to be not-that-dumb. Or not. And if not, they're likeable because 'nice' or 'sweet'. See Mean Girls or Sleeping Beauty? It all relies on the prejudice that blondes aren't that smart. And it was initiated a while ago. It just takes a screening of Some Like it Hot to realise that Marilyn Monroe was marketed from the start as the most iconic blonde in the cinematographic industry. 'If I'm going to be a senator by the time I'm 30, I need to marry a Jackie, not a Marilyn' tells Warner to Elle Woods in Legally Blonde. And why is that? Because sex-appeal and brightness are, according to common grounds, incompatible. Especially when it comes to women. Yup, popular culture has plenty to tell us about gender roles and what's expected from them. 



So it's quite enjoyable to watch such a gorgeous lad having just enough sense of humour to make fun of himself. I mean, we're talking about the impersonator of Thor in the Marvel movies here. Brad Pitt did it once with panache for the Coen Brothers' Burn after Reading, but not once did he have the lack of self-restrain Hemsworth shows on screen. I used to think he was a very serious actor who played in a very one-sided way. But watching videos of Ghostbusters' making-of showed that he just doesn't care. In an industry where you have to constantly fashion your image, this is exactly what I appreciate from comedians I like. I learned in an interview from the female cast that Chris Hemsworth is a great improvisor too and keeps goofing around on set. 


The ironic use of glasses to make him look smart was a clever device: Kevin wears them without lenses, because he's says it's a bore cleaning them as they keep getting dirty. The costume designers did a pretty good job in dressing up Kevin as the hip geek of the lot (the one who wears the best fitting clothes actually). In that sense, it felt truly rewarding to have the girls constantly musing and raving about his looks, as males would do on girls in a bad R'n'B music video. As for Kevin's intelligence, well, let's say that we face a child trapped in the body of a man. Covering his eyes to signify he won't eavesdrop, spitting out coffee while tasting it because he hates it, thinking the phone ringing is the one in the fishtank, Kevin is often oblivious to anything but himself. His mental abilities are totally unrealistic, and this is this very gap that provokes our laugh. Also failing to grasp sexual innuendo and Erin's moves towards him, he often creates awkward situations by adopting a very flat discourse. 



Now, in an article by the Washington Post, it's argued that the character of Kevin still reinforces gender inequality by casting a 'serious' actor in the funniest role of the movie, whereas the female actresses all come from the comedic industry. Yet Stephanie Merry seems to have forgotten that the original actors came from the Saturday Night Live show as well. Plus budding actor Chris Hemsworth has always acted in movies more or less associated to pop culture. So much for seriousness. 

The reason why Chris Hemsworth's performance matters while not stealing the show can be summed up in one scene: Kevin's dance as being possessed by demon Rowan. At some point, when powered-up Kevin reaches the top of the Mercado Hotel, a crowd of policemen surrounds him. Kevin stuns and commands them to move their arms and legs stiffly, in what seems to be the mock-up of some robotic dance. 



The surprise comes up later on, during the ending credits: a flash-back of the Mercado Hotel scene displays Chris Hemsworth at his best, improvising and working on his dance moves. Director Paul Feig pointed out that he had cut out the scene with a different song - 'You Should be Dancing' by the Bee Gees - than the remake 'Get Ghost' by Mark Ronson and Passion Pit (which is a brilliant tune. The soundtrack as a whole was tops). 'This was the biggest decision of my life' argued Feig, about what he initally wanted to be a New York giant discotheque scene. However, the filmmaker added that it disrupted the flow of the movie and made it a little too goofy. The good thing is that it will make you stay till the very, very end, to dance on your seat. 
So, cut the crap Ghostbusters e-haters. Sit up in the nearest movie theatre, shut your mouth, enjoy girl power and Chris Hemsworth's performance.