mardi 7 juin 2016

"Julieta" de Pedro Almodovar


 "Voy a contarte todo"

C'est sous le signe de la confession que débute le nouveau Pedro Almodovar. Enflammé par la presse à Cannes mais boudé par les critiques espagnols, le film du plus excentrique des madrilènes divise. Moins excentrique, mais plus sombre, Julieta permet au spectateur, qu'il soit espagnol ou non, de ressentir avec plus d'empathie le destin de ces personnages somme toute, très ordinaires. 
Aujourd'hui, Julieta, heureuse, s'apprête à quitter Madrid avec son compagnon pour changer de vie et s'envoler vers le Portugal. Mais la réception d'une lettre et une rencontre fortuite va tout faire basculer: le poids du passé et ses démons sont bien trop pesants pour cette femme d'âge mûr qui a cru vouloir faire peau neuve. 
Alors, elle écrit. Pour sa fille, pour nous, mais pour elle, surtout. Apparemment, le film devait à l'origine s'appeler Silencio. La culpabilité est trop forte: il faut que sa fille Antia, qu'elle n'a revu depuis ses 18 ans, connaisse la vérité. 
Flash-back. Julieta, cette fois-ci incarnée par Adriana Ugarte, rencontre un inconnu dans le train au moment d'un suicide, et s'éprend de lui. Nous allons pouvoir alors dérouler toute la pellicule qui nous a emmenée vers la réaction impulsive de Julieta et sa volonté de ne plus quitter Madrid. 

Avec ce vingtième film, Almodovar qui se dit fasciné par la culture familiale en Espagne et la maternité, livre un film austère et moins transgressif que d'habitude. Et c'est tant mieux ! Point de surjeu chez les acteurs, point de travestissement ou de sexualité outrancière, Almodovar est dans l'émotion, dans le vrai. Il y aborde sobrement la douleur maternelle ultime, celle de perdre son unique enfant. Si Xoan semble déjà avoir une maîtresse, cela n'empêche pas les deux amants d'avoir une fille. C'est à ce moment là que les ennuis commencent...

Dans son premier vrai drame, Almodovar dirige ses deux actrices principales avec brio, si bien que leurs différences physiques s'estompent pour devenir une seule et même personne: le personnage éponyme du film. La plus belle scène restera, sans aucun doute, celle où Ugarte se métamorphose en Julieta de 40 ans (Emma Suarez) grâce à un procédé technique très ingénieux repris sur l'affiche: Antia, qui entretient la coloration des cheveux de sa mère, passe subtilement du passé (Ugarte) au présent (Suarez) au moyen de la serviette qui couvre pendant quelques secondes le visage de l'actrice. Autre indice qui évoque le passage inlassable du temps: les différentes coiffures de Julieta jeune, témoins de la mode alors en vogue des décennies traversées. 

Le montage est à ce titre absolument remarquable, oscillant entre moments passés et présents, le tout reliés par la lettre (ou la confession ? Car Julieta semble griffonner sur un cahier) écrite sans relâche. La plupart des plans fixes accordent au film une certaine pesanteur qui sied au sujet, tandis que la musique met l'accent sur les moments les plus pathétiques. Les décors ne sont pas en reste: si Madrid constitue l'épicentre du récit, là où tout commence et se termine, c'est en Andalousie et dans les Pyrénées qu'Almodovar est allé tourner pour la retraite d'Antia loin de cette mère infantile et  surprotectrice. Mais l'endroit qui concentre toute la tension dramatique, c'est la Gallice, là où la famille s'installe, là où la mort viendra réclamer son dû. La mer, comme son homonyme, est dévastatrice et sera néfaste au bonheur des personnages. 


D'ailleurs, si vous y prêtez attention, tout est annoncé au début, notamment lors des cours de Julieta jeune, qui se passionne pour l'étymologie grecque et la mythologie. L'apparition du cerf lors de la scène du train au couleurs très 70s, lorsque Julieta et Xoan se rencontrent, fait figure de symbole, car l'animal sera tué sous les rails. Le récit d'Almodovar prend vite la forme d'une tragédie au travers de laquelle chaque détail compte, notamment les objets telles les statuettes d'Ava. Selon Almodovar, même la couleur des murs n'est pas laissée au hasard, elle renvoie à un état d'âme du personnage principal (d'où cette espèce d'obsession pour le papier peint dans le film). 


Assagi, plus mature, il semble que Pedro Almodovar a aussi beaucoup gagné sur le plan esthétique. Très attaché à l'équilibre visuel, il construirait ses plans comme des tableaux en réalisant de multiples effets de couleurs, qu'il teste non seulement avec les acteurs mais aussi les autres éléments de la pièce. Et s'il accorde autant d'attention à la portée visuelle du film, c'est pour accentuer la solitude des personnage, la notre aussi. Solitude qui se mue bien vite en souffrance et dont on peine à s'échapper. 
Certains peuvent être gênés devant cette déferlante de sentiments. D'autres peuvent fustiger, au contraire, la lenteur du film et sa retenue. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il ne vous laissera pas indifférent. 







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