vendredi 8 avril 2016

Salon du dessin 2016, ou l'auberge espagnole

"Rigoureusement parlant, le dessin n'existe pas ! (...) La ligne est le moyen par lequel l'homme se rend compte de l'effet de la lumière sur les objets; mais il n'y a pas de lignes dans la nature où tout est plein : c'est en modelant qu'on dessine, c'est-à-dire qu'on détache les choses du milieu où elles sont, la distribution du jour seule donne l'apparence au corps !"

Abraham Bloemaert, Etude de pieds, 17ème siècle



 Il est bien tentant d'approuver les invectives de Maître Frenhofer, le héros tragique du Chef d'oeuvre inconnu. Rien n'est moins simple lorsqu'on prend la peine de se déplacer pour aller flâner au Salon du dessin ancien qui se tient chaque année au Palais Brongniart, Place de la Bourse. Jamais adepte des salons et des foires noires de monde qui m'évoquent les méandres du complexe Porte de Versailles, je redoutais cette manifestation un peu comme l'arrivée d'un examen ou d'un entretien, et puis le prix aussi était un peu rebutant... (c'est pas tous les jours qu'on veut bien mettre 15 euros pour une expo). 
Et finalement, cela s'est avéré être une expérience plutôt concluante. Déjà pour ce billet, en plus de l'entrée au Salon, vous avez droit au catalogue, ainsi qu'un sac. J'ignore encore si, comme pour les pass de festivals, le billet est ré-utilisable mais j'étais déterminée à profiter le plus possible de mon après-midi. Pour cette 25ème édition, le Salon du dessin n'accueillait pas moins de 40 exposants. A l'instar des foires artistiques qui se tiennent au Grand Palais, chaque galerie ou collectionneur possède un espace réservé sommes toutes assez réduit, ce qui pose quelques problèmes de scénographie. 

A l'entrée, pour éviter de vous perdre, vous êtes accueillis par un panneau vous livrant le plan détaillé des différents exposants. Si les galeries françaises (et surtout parisiennes !) sont majoritaires, cette année, l'Allemagne et la Belgique sont à l'honneur. On aperçoit quelques exposants américains, comme les très remarqués W. M. Brady & Co et Jill Newhouse, mais cela reste un salon très européen, voire français, nous rappelant les écrits des Diderot, Baudelaire et Zola. 
Or, c'étaient en fin de compte les galeries parisiennes qui présentaient les collections les moins cohérentes. C'est à Artur Ramon, de Barcelone, qu'allait ma préférence pour sa magnifique scénographie claire, lisible et aérée (à droite, sur la photo ci-contre). Chaque exposant tente par tous les moyens d'attirer le plus de spectateurs possibles : petits chocolats (Art Cuéllar-Nathan, Zurich), catalogues de galeries à prix réduits, dessins magistraux... A ce titre, le galerie romaine Antonacci Lapiccirella a réalisé le très intelligent pari de montrer plus d'oeuvres possible grâce à l'installation d'un Ipad présentant un grand nombre de dessins numérisés... qu'il n'avait pas la place d'accrocher au mur. 

Alexandre Benois, Le Cavalier de bronze, 1903
Exception qui déroge à la règle: l'invitation cette année, d'une sélection assez... particulière dirons-nous du Musée Pouchkine. On y trouve une plume absolument remarquable de Chirico et d'autres pépites, mais aussi un large et inégal choix d'oeuvres russes (Malevitch, Kandinsky) que les conservateurs ont voulu faire découvrir au public français. La découverte ultime ? L'illustration des poèmes de Pouchkine par Alexandre Benois, fondateur du mouvement et journal Le Monde de l'art
Pour beaucoup, le Salon du dessin est habile moyen de mettre en valeur, même en vitrine, une portion choisie des collections présentées dans le but de réaliser les meilleures affaires. En cela, le Salon diffère de manifestations qui animent la programmation culturelle de nombreux musées parisiens. C'est donc un événement clef dans la saison phare du marché de l'art, et j'ai aimé, moi aussi, jouer à la négociante en observant la valeur des tableaux, ou en demandant les prix de telle ou telle oeuvre. 

Au sein des collections, l'école italienne était un peu sur-réprésentée à mon goût. Ironie du temps : plus j'étudie l'histoire de l'art, moins j'apprécie la Renaissance italienne, ses sujets mythologiques omniprésents, ses madones aux doux visages, ses innombrables vierges à l'enfant, son maniérisme, préférant la quiétude gourmande des tableaux flamands et de leurs scènes de genre. 
Beaucoup trop, également, d'art moderne et contemporain, dont les dessins se résument souvent à un simple agencement de lignes ou de couleurs abstraites... C'était l'occasion de se rendre compte que Calder était un bien piètre peintre. Le plus décevant était sans aucun doute la série d'oeuvres du Prix Guerlain, qui, il faut bien l'avouer, ne m'a laissé aucun souvenir. Et ces dessins d'enfants, réunis sous l'étiquette "Prix du petit Léonard 2016", était-ce bien nécessaire ?

Heureusement, les oeuvres surréalistes rattrapaient le lot. On a pu ainsi admirer au Salon du dessin 2016 de sublimes Dali, comme cette étude au stylo bille. C'est avec plaisir que j'ai pu admirer un Bryen en couleur d'un format un peu plus grand que d'habitude. 
Salvador Dali, Etude pour les tableaux: Galatée en formation
et Vitesse maximale de la vierge de Raphaël

vers 1954, galerie Hélène Bailly
On a peut-être trop vu d'aquarelles de Signac, de Menzel et de Boldini, les trois artistes, étrangement, les plus récurrents, mais le clou du spectacle, c'était l'intérêt porté au courant symboliste belge. Khnopff, Spilliaert, Rops, ils étaient tous là. 
Le 18ème siècle non plus n'était pas en reste, jonglant entre Watteau, Greuze et Fragonard. Ni une, ni deux, mon intention était aussi de rechercher les trop rares galeries londoniennes et dessins anglais. Toutefois, j'ai eu la chance de tomber sur une aquarelle de Ruskin, une esquisse de Fuseli et quelques Burne-Jones, le plus admiré des préraphaélites de l'autre côté de la Manche. 
                       
            
           Edward Burne-Jones, Etude pour
           L'Escalier d'or, 1872 - 1880
         Galerie Le Claire Kunst
             
                    Fernand Khnopff, Mélisande, v.1907
Mais en réalité, le plus stimulant dans le Salon du dessin, ce sont les échanges et les comportements des amateurs d'art. La prise de photo est toujours un sujet un peu sensible ; n'oubliez pas de demander l'autorisation au collectionneur ou galeriste qui, la plupart du temps, se fera un plaisir de vous donner son accord. Si jamais vous complimentez un exposant sur son oeuvre ou son catalogue, bien souvent vous repartirez avec ce dernier en poche. 
Au Salon du dessin, on entend parler toutes les langues : français et anglais, bien sûr, mais aussi italien, espagnol, allemand, flamand... 
Se retrouver au milieu de cette joyeuse mosaïque m'a rappelé combien parfois je suis fière d'être européenne et d'avoir accès à ce bagage culturel partagé par ces pays qui nous entourent. Il vous suffit de vous arrêter un peu plus longtemps devant un tableau pour qu'un galeriste vienne à votre rencontre et vous parler de son travail. Plus que l'achat d'une oeuvre ou le marchandage d'un prix, c'est bien cela, la richesse de ce salon. Et c'est avec un nouveau sac, pas moins de 3 catalogues (qui ne tiennent pas dans ma bibliothèque...), des contacts de galeristes et le sourire en poche que je suis repartie. 
Alors, à quand le Salon du dessin édition 2017 ? 

                                         

   


  

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