lundi 25 avril 2016

Musée dehors/ Musées debout

Comment rendre la culture la plus accessible possible du public ? C'est le pari un peu fou que se sont donnés le conservateur Guillaume Kientz et l'organisation "Louvre pour tous". 
Dès 14h30, depuis dimanche dernier, ça s'active pas mal Place de la République à Paris. Le principe est simple : un médiateur, une oeuvre ou même plusieurs, une photocopie - pas toujours de bonne qualité, il est vrai, mais est-ce-bien important compte tenu de la portée de l'action et du résultat final ?  - un cadre, et le tour est joué ! 
Depuis quelques sessions commencées dans la vague de l'assaut de la Place au sein du mouvement national Nuit Debout, l'initiative rencontre un succès assez partagé auprès des internautes et amoureux de la culture. Relayée sur les réseaux sociaux, c'est en particulier grâce à Facebook (www.facebook.com/museesdebout/) et à Twitter (twitter.com/MuseesDebout) que l'information a pu se diffuser.
Photo: courtesy @GuillaumeKientz
A partir de 14h environ, il faudra être sur le pied de guerre pour installer votre oeuvre : ça demande un peu de travail manuel, anti-bricolos s'abstenir, mais pas de panique ! "Louvre pour tous" a tout prévu: ficelles, cadres factices qui rappellent ceux d'un musée, d'autres en bois ou en plastique, carton, ciseaux, scotch, patafix, papier... Et pour les avides lecteurs, même des manuels d'histoire sont disposés à votre guise.  

Voilà, c'est prêt ! Les médiateurs peuvent vous servir fumant leur savoir, et surtout, plus essentiel encore : inscrire ces oeuvres au coeur du débat public, faire réagir le passant ou le curieux sur tel ou tel détail, l'amener à poser des questions, s'interroger sur le rôle de l'art et peut-être le faire apprécier un tableau qu'il aurait juste vu passer sans lui accorder au préalable une certaine attention. A Musées Debout, ce dimanche, on a pu voir exposés Les Pélerins d'Emmaüs par Rembrandt, expliqué par une jeune fille qui s'intéresse à la signification du calvinisme dans la peinture, La Vierge au Rocher de De Vinci, du Klimt, et j'en passe...
Leonard de Vinci, La Vierge au Rocher, 1503
Huile sur toile, National Gallery, Londres
La météo, en tout cas, n'est pas de notre avis. Qu'à cela ne tienne, les moins timides, à savoir Guillaume et Alexis, qui propose sa mini visite en langue des signes, se lancent. Un débat portant sur Les Licteurs apportant à Brutus les corps de ses fils de David s'ébauche. On s'interroge beaucoup sur le rôle de la femme dans la peinture du 18ème et du 19ème, pour conclure que finalement, David était assez sexiste avant l'heure ou la théorisation du terme, tandis que c'est avec l'époque romantique qu'on voit apparaître des personnages féminins forts à l'écran - euh pardon ! dans le cadre. 


Les heures défilent, les reproductions aussi. Tant qu'à s'approprier les peintures, autant en faire tourner le plus possible. Pour ma part, j'avais choisi la belle Ophelia de Millais, afin de réhabiliter un peu l'art britannique qui n'a pas très bonne presse en France, mais aussi pour parler de son modèle, Elizabeth Siddal, et de l'esthétique préraphaélite, du canon de la femme rousse et pâle à l'extrême minutie avec laquelle ils dépeignent les détails. Et puis il y a aussi la fameuse séance de pause dans une baignoire remplie d'eau, au cours de laquelle Lizzie tombe malade. Le tableau était certes accroché d'un côté où les passants ne s'attardaient pas beaucoup, car tourné vers l'extérieur, mais qu'importe. J'ai eu la chance de raconter toutes ces anecdotes saillantes à un étudiant en médecine de l'ENS, des vieilles connaissances de classe prépa, et quelques conservateurs rencontrés lors de l'événement. 


Buste de la reine Nefertiti, vers -1435
Plâtre, calcaire peint
Neue Museum, Berlin 

Et moi aussi, j'ai pu apprendre ce qu'était l'énigme de la Reine Nefertiti, à travers l'observation de ce buste dont l'expertise donne bien du mal aux égypologues, échanger avec des étudiants ou professionnels du patrimoine, de la culture...

C'est peut-être finalement l'un de plus gros bémols à émettre quant à la portée de Musées Debout : l'idéologie est éminemment louable, mais à qui s'adresse-t-elle ? On pourrait croire que ceux qui se réunissent en ce dimanche ne sont que des personnes qui connaissent déjà les tableaux, les ont déjà vu et recherchent en quelque sorte un guide qui permette de véritablement les intéresser. Ou bien des connaisseurs de la profession, qui ont déjà vu ces peintures passer une centaine de fois lors de cours de clichés, d'examens, de conférences, reproduisant ainsi le milieu assez cloisonné de l'art et la culture française. Mais... pas tout à fait. Et si cette série de clichés était assez fausse ? Il demeure, certes, une part de vérité. A plusieurs reprises, ceci dit, on voit s'approcher des jeunes qui ne connaissent rien à l'art, attirés par cette institution nouvelle, quelques oubliés de la culture, et même des sans-abris. Alors, forcément, quand on n'est pas confiné dans son musée et qu'on croit dur comme fer à la démocratisation de l'art, cela donne de l'espoir pour la suite. 
Photo: courtesy @GuillaumeKientz
D'ailleurs, la gratuité des musées, à l'instar de ses homologues anglo-saxons, l'enseignement de l'histoire de l'art à l'école et la pratique accrue de la médiation - notamment par les gardiens d'expositions et de musées - fait partie des revendications du mouvement. Nous vivons dans une époque saturée par le visuel, composé pourtant d'images mouvantes, que notre oeil n'a plus le temps d'analyser. Un tableau, ça fixe un moment pour toujours sur la toile. C'est comme l'écrit, à la différence qu'en plus de l'imaginaire, un tableau fait intervenir la mémoire visuelle. Un tableau, on s'en souvient. Un tableau, c'est tout un monde délimité par un cadre de dimensions variables, qui bien souvent raconte une histoire. C'est ce que Musée dehors/ Musées debout tente de faire comprendre à tous ces spectateurs attirés par les reproductions de peintures exposées en ce dimanche 24 avril, dans un espace où le débat est présent, ouvert, et tous les points de vue sont acceptés. Ici, on n'est pas en cours, point de contresens, point d'erreur lors de l'analyse et de l'interprétation. 

Et si le musée du 21ème siècle, c'était ça ? 





Merci à Alexis pour ses commentaires édifiants et l'apport de ses corrections

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