Adaptation BBC de 2007 |
Dans Northanger
Abbey, Jane Austen dresse le portrait de Catherine Morland, une héroïne
naïve et dépourvue d’expérience, mais avide lectrice et passionnée par les
romans gothiques, très en vogue au début du 19ème siècle en
Angleterre. Si Austen fustige Horace Walpole, auteur du Château d’Otrante (1764) et inventeur du genre, c’est surtout à
Ann Radcliffe que la romancière s’attaque. Les
Mystères d’Udolphe, publiés en 1794, connurent un succès phénoménal auprès
des jeunes filles de la gentry en
quête d’aventures et de sensations fortes. Ce n’est donc pas anodin si ce genre
fut également désigné sous le terme de sensation
fiction, à la charnière entre le mélodrame et le romantisme.
Si la brève carrière d’Ann Radcliffe fut
fulgurante (ses pairs la caractérisaient de « puissante
enchanteresse »), très peu d’informations subsistent sur sa vie privée. De
nombreuses rumeurs circulent sur son compte : on dit qu’à cause de son
imagination excessive, elle fut internée dans un asile, ou qu’elle ingurgitait des
côtes de porc saignantes avant le coucher afin d’accentuer l’aspect horrifique
de ses cauchemars. Ann Radcliffe sortait rarement et préférait la solitude de
sa chambre dans laquelle elle se retirait pour écrire.
Née dans le quartier londonien de Holborn, Ann
Ward avait pour père un marchand de porcelaine. En 1787, elle épousa le
journaliste William Radcliffe, le rédacteur-en-chef de l’English Chronicle. Ann se mit à entreprendre la rédaction de ses
romans peu après son mariage car son mari rentrait tard. L’argent qu’Ann gagna
grâce à la publication de ses romans permit au couple de s’offrir de nombreux
voyages en Europe, qui inspirèrent l’écrivain pour ses grandioses descriptions
de paysages.
Ann Radcliffe écrivit au total six romans : Les
Châteaux d’Athlin et de Dunbayne (1789),
Une Romance sicilienne et La Romance de la forêt (1790), Les Mystères d’Udolphe, L’Italien (1797), Gaston de Blondeville (1826). Elle fut l’instigatrice du roman à
suspens en associant au style gothique le genre du roman sentimental, ce qui
lui valut les critiques de certains de ses contemporains, la plus connue étant
celle de Jane Austen. Pamela Regis, docteur au McDaniel College, écrira à
ce propos dans son essai sur le roman d’amour, que c’est au 19ème
« le genre le plus populaire et le moins respecté ».
Contrairement aux récits de Walpole relatés par un
narrateur omniscient, les romans de Radcliffe se centrent souvent sur une belle
et innocente héroïne persécutée par un sombre baron vivant dans un lugubre
manoir, ainsi que sur la liaison sentimentale dont celle-ci est l’objet.
L’action et les scènes de mystère sont perçues à travers son point de vue, ce
qui permet au lecteur de progresser dans le récit au même rythme que le
personnage principal.
La trame de Radcliffe met ainsi en valeur la
romance, la peur et le paysage majestueux qui sert de cadre à l’histoire. La
plupart des intrigues mystérieuses s’expliquent par l’extrême sensibilité de
l’héroïne, en proie à ses hallucinations, son imagination débordante ou au
hasard. La clef des romans d’Ann Radcliffe se situe à la fin du récit, dans
laquelle des événements inexplicables trouvent un éclaircissement d’ordre
rationnel. Grâce à cette technique, l’auteur désirait à la fois avertir les
jeunes filles de la bonne société des dangers d’une sensibilité excessive et
rendre justice au roman gothique pour que celui-ci soit considéré comme un
genre littéraire respectable. En effet, l’auteur n’appréciait guère la direction
que prenait celui-ci après la publication du Moine (1794) de Matthew Gregory Lewis (1775 - 1818), célèbre pour
son extrême violence, ses scènes de satanisme et ses thèmes subversifs (viols,
inceste, parricide) justifiés seulement par les passions des personnages
principaux.
Salvator Rosa, Paysage rocheux avec chasseur, v.1670 Huile sur toie, 142 x 192 cm Musée du Louvre |
Les thèmes chers à Radcliffe sont donc : le
surnaturel, les ruines, l’amour impossible et le triomphe de la raison. C’est
surtout pour ses descriptions de paysages sublimes qu’elle fut remarquée. Ces
dernières furent influencées par la peinture de Claude Gellée dit Le Lorrain
(1600 – 1682), Gaspard Dughet (1615 – 1675) et Salvator Rosa (1615 – 1673). Comme
les voyages étaient coûteux, les tableaux de ces artistes constituèrent de
précieuses sources d’inspiration pour installer le cadre de ses romans, la
plupart situés dans le sud de la France ou en Italie. Ann Radcliffe se plaisait
d’ailleurs à comparer l’œuvre du Lorrain au le travail
d’un poète. En observant l’un de ses tableaux, elle s’exclama :
« vous voyiez la lumière véritable du soleil, vous respiriez l’air de la
campagne ».
Admirée par Balzac, Hugo et Baudelaire, Ann
Radcliffe influença des romancières britanniques telles que les sœurs Brontë
qui appréciaient la personnalité de ses héroïnes, mais également les maîtres
plus tardifs du genre fantastique comme Edgar Allan Poe (1809 – 1849) et Bram
Stoker (1847 - 1912), l’auteur de Dracula
(1901).
Le Lorrain, Paysage avec Apollon et les Muses, 1652 Huile sur toile, 290 x 186 cm National Galleries of Scotland |
Sources Internet : Academic Brooklyn, Ruth
Facer “Ann Radcliffe” (Chawton House Library), France Culture
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