Fashionable entertainments at Vauxhall British Library |
« The illuminations began before we
arrived, and I must confess that, upon entering the gardens, I found every
sense overpaid with more than expected pleasure » remarque avec ironie
le narrateur du Citoyen du Monde en
observant les jardins de Vauxhall. Ecrit par l’irlandais Oliver Goldsmith en 1760,
cet équivalent des Lettres Persanes
(1721) met en scène un voyageur chinois qui décrit avec force détails les mœurs
et pratiques de la société géorgienne. A l’instar du roman épistolaire de
Montesquieu, la subtile technique littéraire du regard étranger permet de
souligner les travers du mode de vie britannique.
Il
est vrai que la vogue des pleasure
gardens était décriée par plus d’un. Ce type de parcs d’attractions
populaires constituait en quelque sorte le Disneyland de l’époque. Après avoir
payé des frais d’entrée peu onéreux, l’homme du monde s’échappait de l’agitation
et l’étiquette londoniennes pour pénétrer dans un jardin qui recelait de
plaisirs, spectacles, et même de scandales… Contrairement aux parcs ouverts au
public tels que les landscape gardens,
on pouvait assister à un concert sous un kiosque, monter sur un manège, admirer
une ménagerie. Moins codifiés que les bals de la bonne société, les pleasure gardens accueillaient une
audience plus large dans une ambiance décontractée. Les membres de la haute
bourgeoisie côtoyaient alors marchands, marins, militaires, et même prostituées.
C’est là que plusieurs hommes retrouvaient leurs amantes pour les conduire dans
les recoins boisés du parc après les avoir séduites.
Phoebus Levin, La Scène de danse dans les jardins de Cremorne, 1864 |
Les
jardins de Vauxhall, ci-dessus représentés par le caricaturiste George Cruikshank,
comptent parmi les plus célèbres de ces parcs à thèmes. Construit au sud de la
Tamise en 1661, Vauxhall se mit à comporter à partir du 18ème siècle
toutes sortes d’attractions, du jongleur étranger aux bals costumés, grâce à la
perspicacité d’un jeune architecte-entrepreneur, Jonathan Tyers. La plupart de
ces soirées s’éternisaient jusqu’à très tard dans la nuit, parfois jusqu’à
l’aube. On y allait pour ses fontaines illuminées et ses feux d’artifice. Vauxhall
était aussi réputé pour ses boudoirs-restaurants, dans lesquels des groupes de
10 à 12 personnes dégustaient friandises et ponch. Très vite, Tyers réduisit le
billet à un shilling, ce qui rendit l’entrée du parc à la portée de presque
tous les membres de la société géorgienne. La population de Londres, plutôt
jeune pour l’époque, s’y rendait pour se montrer et admirer les dernières modes
vestimentaires.
Cruikshank
dépeint ces derniers dansant au rythme d’un concert de musique populaire. Cette
gravure est à l’origine issue d’un roman-feuilleton mensuel intitulé La Vie londonienne, publié à partir de
1821 par le journaliste Pierce Egan. Chaque numéro relatait les pérégrinations
de Tom et Jerry (qui ont par la suite donné leurs noms aux célèbres personnages
du dessin animé créé par Hanna-Barbera) dans la capitale britannique. Toutes les
illustrations furent réalisées par Cruikshank. La publication du roman de Egan
et de ses vignettes connut un succès immédiat. La façon dont Cruikshank mettait
en scène les vices et la bêtise de la haute société était fort appréciée dans
les cercles littéraires.
Au
sein d’une composition horizontale, au cadrage serré, l’attention du spectateur
se concentre sur les danseurs en habits de soirée. Le couple central ainsi que
les figures du premier plan sont dessinés avec un marquage plus prononcé, si
bien qu’on distingue à peine l’homme saoul tombé par terre, en bas à gauche. Non
loin du couple, un homme dévisage de haut en bas les formes généreuses de la
danseuse à travers son monocle. Sur l’estrade, un groupe de musiciens
militaires divertit son audience.
Ce
qu’un amateur moderne averti remarquera peut-être, c’est la présence de deux
hommes noirs au sein de l’orchestre. Jusqu’au début du 19ème,
la Grande-Bretagne était impliquée dans le commerce triangulaire et la traite
des noirs, mais l’esclavage ne fut jamais déclaré comme légal en
Angleterre. Après les guerres napoléoniennes, de nombreux soldats noirs
s’installèrent à Londres. Ceci dit, la vogue du racisme scientifique et de
l’orientalisme conduisait de nombreux londoniens à traiter les noirs comme des
bêtes de foire pour que ceux-ci soient « montrés » dans les parcs de
loisirs. Il est difficile de s’exprimer sur les véritables opinions de
l’illustrateur, mais Cruikshank produisit The
New Union Club, l’une des gravures condensant les préjugés racistes les
plus virulents de l’époque, qui tançait également des personnalités
abolitionnistes.
The New Union Club, 1819 National Maritime Museum |
Issu
d’une famille de riches artisans, George Cruikshank (1792 –1878) étudia la
caricature dans l’atelier de son père. A partir de 1808, le fils s’établit à
son propre compte dans la capitale car il avait développé un style personnel.
Il vendait la plupart de ses dessins à des publicitaires, ce qui lui permit de
s’attirer la protection de Johnny Fairburn, l’un des éditeurs les plus réputés
de Londres. C’est en vilipendant la famille royale et de puissants politiciens que
Cruikshank acquit sa notoriété. Beaucoup lui reprochaient sa facture relâchée et
ses sujets volontiers grivois.
De
son vivant, on qualifiait Cruikshank de « Hogarth
moderne ». Hogarth avait en effet été l’initiateur de la caricature de
mœurs, tandis que James Gillray (1757 – 1815), dont Cruikshank s’est beaucoup
inspiré, s’était distingué dans la satire politique. Cruikshank s’emploiera à
couvrir tous les genres, tout en connaissant une carrière florissante
d’illustrateur, notamment pour les contes de Grimm, Dickens et Thackeray.
Au
Museum of London, les conservateurs responsables du Londres moderne ont recréé
une galerie immergeant le visiteur dans l’atmosphère des Vauxhall Gardens que
Cruikshank se plaît à blâmer. Le panneau d’introduction de la salle explique
que des affiches publicitaires vantaient les mérites du programme hebdomadaire
afin d’assurer la fréquentation constante du parc. C’est pourquoi on peut
apercevoir derrière des vitrines un clown, des personnes costumées et des
aristocrates arborant les chapeaux les plus extravagants.
Sources Internet : British Library, History.co.uk,
Museum of London, Spartacus Educational
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire