samedi 9 avril 2016

"Plaisirs à la mode dans les jardins de Vauxhall" par George Cruikshank (1823)

Fashionable entertainments at Vauxhall
British Library
« The illuminations began before we arrived, and I must confess that, upon entering the gardens, I found every sense overpaid with more than expected pleasure » remarque avec ironie le narrateur du Citoyen du Monde en observant les jardins de Vauxhall. Ecrit par l’irlandais Oliver Goldsmith en 1760, cet équivalent des Lettres Persanes (1721) met en scène un voyageur chinois qui décrit avec force détails les mœurs et pratiques de la société géorgienne. A l’instar du roman épistolaire de Montesquieu, la subtile technique littéraire du regard étranger permet de souligner les travers du mode de vie britannique.
Il est vrai que la vogue des pleasure gardens était décriée par plus d’un. Ce type de parcs d’attractions populaires constituait en quelque sorte le Disneyland de l’époque. Après avoir payé des frais d’entrée peu onéreux, l’homme du monde s’échappait de l’agitation et l’étiquette londoniennes pour pénétrer dans un jardin qui recelait de plaisirs, spectacles, et même de scandales… Contrairement aux parcs ouverts au public tels que les landscape gardens, on pouvait assister à un concert sous un kiosque, monter sur un manège, admirer une ménagerie. Moins codifiés que les bals de la bonne société, les pleasure gardens accueillaient une audience plus large dans une ambiance décontractée. Les membres de la haute bourgeoisie côtoyaient alors marchands, marins, militaires, et même prostituées. C’est là que plusieurs hommes retrouvaient leurs amantes pour les conduire dans les recoins boisés du parc après les avoir séduites.

Phoebus Levin, La Scène de danse dans les jardins de Cremorne, 1864

Les jardins de Vauxhall, ci-dessus représentés par le caricaturiste George Cruikshank, comptent parmi les plus célèbres de ces parcs à thèmes. Construit au sud de la Tamise en 1661, Vauxhall se mit à comporter à partir du 18ème siècle toutes sortes d’attractions, du jongleur étranger aux bals costumés, grâce à la perspicacité d’un jeune architecte-entrepreneur, Jonathan Tyers. La plupart de ces soirées s’éternisaient jusqu’à très tard dans la nuit, parfois jusqu’à l’aube. On y allait pour ses fontaines illuminées et ses feux d’artifice. Vauxhall était aussi réputé pour ses boudoirs-restaurants, dans lesquels des groupes de 10 à 12 personnes dégustaient friandises et ponch. Très vite, Tyers réduisit le billet à un shilling, ce qui rendit l’entrée du parc à la portée de presque tous les membres de la société géorgienne. La population de Londres, plutôt jeune pour l’époque, s’y rendait pour se montrer et admirer les dernières modes vestimentaires.

Cruikshank dépeint ces derniers dansant au rythme d’un concert de musique populaire. Cette gravure est à l’origine issue d’un roman-feuilleton mensuel intitulé La Vie londonienne, publié à partir de 1821 par le journaliste Pierce Egan. Chaque numéro relatait les pérégrinations de Tom et Jerry (qui ont par la suite donné leurs noms aux célèbres personnages du dessin animé créé par Hanna-Barbera) dans la capitale britannique. Toutes les illustrations furent réalisées par Cruikshank. La publication du roman de Egan et de ses vignettes connut un succès immédiat. La façon dont Cruikshank mettait en scène les vices et la bêtise de la haute société était fort appréciée dans les cercles littéraires.
Au sein d’une composition horizontale, au cadrage serré, l’attention du spectateur se concentre sur les danseurs en habits de soirée. Le couple central ainsi que les figures du premier plan sont dessinés avec un marquage plus prononcé, si bien qu’on distingue à peine l’homme saoul tombé par terre, en bas à gauche. Non loin du couple, un homme dévisage de haut en bas les formes généreuses de la danseuse à travers son monocle. Sur l’estrade, un groupe de musiciens militaires divertit son audience.
Ce qu’un amateur moderne averti remarquera peut-être, c’est la présence de deux hommes noirs au sein de l’orchestre. Jusqu’au début du 19ème, la Grande-Bretagne était impliquée dans le commerce triangulaire et la traite des noirs, mais l’esclavage ne fut jamais déclaré comme légal en Angleterre. Après les guerres napoléoniennes, de nombreux soldats noirs s’installèrent à Londres. Ceci dit, la vogue du racisme scientifique et de l’orientalisme conduisait de nombreux londoniens à traiter les noirs comme des bêtes de foire pour que ceux-ci soient « montrés » dans les parcs de loisirs. Il est difficile de s’exprimer sur les véritables opinions de l’illustrateur, mais Cruikshank produisit The New Union Club, l’une des gravures condensant les préjugés racistes les plus virulents de l’époque, qui tançait également des personnalités abolitionnistes.

The New Union Club, 1819
National Maritime Museum

Issu d’une famille de riches artisans, George Cruikshank (1792 –1878) étudia la caricature dans l’atelier de son père. A partir de 1808, le fils s’établit à son propre compte dans la capitale car il avait développé un style personnel. Il vendait la plupart de ses dessins à des publicitaires, ce qui lui permit de s’attirer la protection de Johnny Fairburn, l’un des éditeurs les plus réputés de Londres. C’est en vilipendant la famille royale et de puissants politiciens que Cruikshank acquit sa notoriété. Beaucoup lui reprochaient sa facture relâchée et ses sujets volontiers grivois.
De son vivant, on qualifiait Cruikshank de « Hogarth moderne ». Hogarth avait en effet été l’initiateur de la caricature de mœurs, tandis que James Gillray (1757 – 1815), dont Cruikshank s’est beaucoup inspiré, s’était distingué dans la satire politique. Cruikshank s’emploiera à couvrir tous les genres, tout en connaissant une carrière florissante d’illustrateur, notamment pour les contes de Grimm, Dickens et Thackeray.

Au Museum of London, les conservateurs responsables du Londres moderne ont recréé une galerie immergeant le visiteur dans l’atmosphère des Vauxhall Gardens que Cruikshank se plaît à blâmer. Le panneau d’introduction de la salle explique que des affiches publicitaires vantaient les mérites du programme hebdomadaire afin d’assurer la fréquentation constante du parc. C’est pourquoi on peut apercevoir derrière des vitrines un clown, des personnes costumées et des aristocrates arborant les chapeaux les plus extravagants.


Sources Internet : British Library, History.co.uk, Museum of London, Spartacus Educational


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire