Le 4 avril 1886, Cézanne écrivit à son ami d'enfance Zola :
"Mon cher Emile,
Je viens de recevoir L'Oeuvre que tu as bien voulu m'adresser. Je remercie l'auteur des Rougon-Macquart de ce bon témoignage de souvenir, je lui demande de me permettre de lui serrer la main en songeant aux anciennes années.
Tout à toi, sous l'impulsion des temps écoulés."
Cette lettre du peintre post-impressionniste semble réfuter l'hypothèse d'une querelle qui aurait eu lieu après le quatorzième roman de la saga zolienne, suite à laquelle les deux amis ne renouèrent jamais plus. Et pourtant, le critique américain John Rewald considère cette missive comme un adieu définitif.
Il n'en fallait pas plus à Danièle Thompson, la réalisatrice des Fauteuils d'orchestre, pour se saisir de l'un des sujets les plus brûlants de l'histoire artistique et littéraire du XIXe siècle. Décrié par la critique, raillé sur les réseaux sociaux, encensé par d'autres, Cézanne et moi a certainement fait couler beaucoup d'encre. Ce biopic mérite t - il une telle attention, un tel torrent de haine et de réactions enflammées ?
Retour en coulisses. Le lieu ? Aix-en-Provence, collège Bourbon. L'année ? 1851. Zola, le fils d'un ingénieur des travaux publics italien, Zola le paria, l'étranger, se lie d'amitié avec le châtelain Paul Cézanne. C'est ainsi que commence le film. Ou plutôt, non : on y aperçoit en premier plan un Zola fatigué, qui accueille Cézanne dans sa luxueuse et trop bourgeoise villa de Médan, après la publication de L'Oeuvre. Premier acte, où la rencontre fictive pose les jalons d'une série de souvenirs que les deux artistes se remémorent avec délices, regrets et amertumes. L'origine de la dispute est là, si bien que Danièle Thompson confond la fiction et la réalité : à de nombreuses reprises, le spectateur se demande s'il s'agit d'une histoire d'amitié réelle entre ces deux provençaux devenus (de force) parisiens ou d'un passage du roman.
L'Oeuvre tient dans ma bibliothèque une place toute particulière car c'est devenu, très vite, mon roman de langue française favori. Ce n'est donc pas un euphémisme de dire que j'attendais ce film avec impatience et appréhension. Découvert sur le tard, le roman de Zola réunit les deux domaines artistiques qui me tiennent le plus à coeur : peinture et littérature. C'était on ne peut plus naturel pour quelqu'un qui s'était improvisé comme chroniqueur des Salons, ces spectaculaires expositions qui accueillait les artistes agrées par l'Académie des Beaux-Arts. Or, le XIXe siècle signe l'apogée des manifestations artistiques destinées à promouvoir la création.
Comme dans le film de Thompson, on remarque à travers cette toile de François Biard que la scénographie différait considérablement de nos conditions modernes d'exposition : un public grouillant, des toiles entassées ça et là sans aucun schéma apparent, que l'on lisait au moyen du catalogue distribué à l'entrée, aroborant les noms des peintres, dates et titres des oeuvres. Seulement, et c'est ce qu'explique Zola dans son récit, seuls les artistes favoris du jury ou qui réalisaient des peintures dites d'"histoire", au grand format, figuraient à hauteur d'oeil. Le lecteur l'aura compris bien vite, Claude Lantier, le personnage principal de L'Oeuvre, ne parviendra que très difficilement, contrairement à ses camarades parvenus, à obtenir le soutien financier d'un mécène.
En 1863, pour pallier à cet élitisme forcé, Napoléon III ouvre un second Salon, celui des refusés, afin de favoriser la création artistique contemporaine (entendons : les réalistes et les débuts de l'impressionnisme). Hélas ! Même les innovateurs comme Manet, grand favori de Zola, ne trouveront pas grâce aux yeux du nouveau jury. Son Olympia est d'emblée refusée, considérée comme bien trop provocante aux yeux de ce Second Empire pudibond. Ce qui ne manque pas d'étonner l'écrivain, qui rédige une critique assassine de la Vénus de Cabanel présentée la même année, pourtant débordante de sensualité, mais cautionnée par sa référence mythologique.
Ce contexte sulfureux a bien entendu inspiré Zola pour la création du personnage de Claude Lantier, fils de Gervaise Macquart (L'Assomoir) et d'Auguste Lantier, hybride entre Manet, Monet et Cézanne. Mais, selon Danièle Thompson, surtout Cézanne, alors que de Paul, Claude ne semble qu'en avoir le mauvais caractère. L'Oeuvre conte la carrière d'un peintre, qui avec ses camarades, aspire à révolutionner le monde de l'art. Alors que ceux-ci réussissent financièrement, notamment son grand ami, l'écrivain Sandoz (qui, ô, par le plus commun des hasard, s'engage à rédiger une chronique d'une famille sous le Second Empire ! Ca ne vous rappellerait pas quelqu'un ?), lui au contraire, essuie échec sur échec. La peinture de Claude est lourde, résolument moderne, personne sinon lui ou Christine, son amante et modèle, ne la comprend. C'est un artiste maudit que son obsession de la perfection et de la couleur conduira au suicide.
Mais L'Oeuvre est aussi une histoire d'amitié. Une amitié farouche, conflictuelle, fraternelle, entre le peintre et l'auteur Sandoz (avatar de Zola, nous le comprenons bien vite). Et c'est ce volet du roman qui a suscité l'intérêt de Danièle Thompson.
Et pour cause, cette fille de (Gérard Oury) suivit des cours d'histoire de l'art à New York dans les années 60. Bien que connue pour ses comédies douce-amères qui révèlent nombreux règlements de compte à travers ses piques et répliques fusantes (La Bûche, Des gens qui s'embrassent), co-scénariste sur les plateaux de papa (La Grande Vadrouille, Rabbi Jacob), Danièle Thompson signe un film qui suit le destin tragique de deux hommes. C'est peut-être bien là le souci : on ne sait jamais vraiment où se situe la prise de parti entre l'humour et le drame.
Le montage également qui se pose comme une exploration entre le passé et le présent des deux artistes, introduit la notion de va-et-vient dans les souvenirs, censé donné au scénario plus de rythme. Pari manqué. Le récit perd en fluidité et sera malheureusement incompréhensible pour le spectateur étranger à Zola, la peinture du Second Empire et l'histoire du XIXe siècle. Qu'une chose soit claire : Cézanne et moi n'est absolument pas fait pour démocratiser l'art et la culture de cette époque. Des noms de peintres et écrivains esquissés s'ébauchent : Bazille, Monet, Champfleury... On les croise sans jamais les connaître en profondeur. Ceci dit, Danièle Thompson aura au moins le mérite de ravir les muséogeeks, apprentis artistes et amoureux de la littérature française : avouons-le, c'est toujours agréable de voir son ego flatté en reconnaissant tel personnage ou oeuvre dans un film, comme si vous partagiez le secret de son scénariste er que vous étiez sur la même longueur d'onde.
On a beaucoup reproché à Cézanne et moi l'absence de peinture. Des toiles, nous en voyons peu, ou de dos, de côté. Au Salon, le monumental Déjeuner sur l'herbe de Manet, une reproduction, manifestement, dont les dimensions ont été bien trop exagérées, polarise le regard de tous les spectateurs. Rappelons toutefois à la critique facile le problème de droits et de fonds auquel doivent se confronter les producteurs pour faire figurer une oeuvre dans un film. Quant aux répliques par d'autres peintres, elles sont bien souvent inexactes, ratées ou trop différentes des originaux. Je pense à ce titre aux atroces copies - mis à part l'oeuvre titre - de Vermeer dans le film La Jeune fille à la perle adapté du très ambigü roman de Tracy Chevalier, ou encore aux peintures préraphaélites de la série BBC Desperate Romantics, qui manifestement n'avait pas le budget nécessaire pour acheter les droits de reproduction autres que celui du célèbre Ophelia de Millais.
Afin de contourner ce parcours semé d'embûches, Danièle Thompson a décidé d'adopter une perspective artistique radicalement différente qu'on retrouve souvent chez les réalisateurs qui accordent une attention toute particulière à l'esthétique de leur film : celle de retranscrire la peinture à travers la photographie, le cadrage, les plans, les teintes, comme si elle construisait un tableau. La Montagne Ste-Victoire se dessine dans plusieurs scènes, sans que l'on voit ce qui apparaît sur la toile de Cézanne (le mystère reste ainsi entier !), le pique-nique joyeux fait, bien entendu, référence au Déjeuner sur l'herbe, de Monet, cette fois-ci.
Paul Cézanne, La Montagne Ste-Victoire vue des Lauves, 1902-1904
Huile sur toile, 69,9 x 89,5 cm, Philadelphia Museum of Art
C'est donc vraiment dommage que Danièle Thompson n'ait pas plus porté d'attention aux femmes de l'histoire, non seulement parce que Christine est décisive au développement de L'Oeuvre, mais aussi parce qu'elle est parvenue à dénicher une jolie brochettes de bonnes actrices (ce qui, on l'aura compris, n'est pas toujours le cas pour les hommes...). De plus, le corps féminin et le désir font partie intégrante des problématiques du film. Chez le peintre et l'écrivain, chacun tente tant bien que mal, chacun à leur manière, de saisir dans leur art la chair féminine. Le nu, la pose pour Cézanne, l'observation discrète et la pulsion sexuelle réprimée chez Zola. Et c'est pour cela que j'aimerais attirer votre attention sur cette nouvelle jeune première qu'est la petite belge Déborah François.
Chez Déborah François, on perçoit Hortense, la modèle, amante et femme de Cézanne bien sûr, mais pas que. Chez Déborah François, on perçoit Christine, Nana, Victorine Meurent (favorite de Manet), et toutes les académies des peintres modernes de cette deuxième moitié du XIXe siècle. En ce sens, elle crève l'écran face à la femme de Zola, qui pourtant campe un rôle de femme bien plus forte et affirmée. Mais sa colère est trop frontale, trop évidente. Une des plus belles scènes est celle où Hortense pour la première fois explose face à Cézanne, s'époumone, fatiguée d'être devenue sa chose, son sujet d'étude, un simple corps à poser sur la toile. Surtout en découvrant ce qu'il fait de ses Baigneuses... Déborah François dans Cézanne et moi c'est LA femme par essence de ce siècle charnière, même si son anachronique canon de beauté faisant écho aux rondeurs charnelles d'Alexandrine ne se prête pas tellement aux idéaux d'antan.
Rien n'est moins simple que de se frotter au difficile exercice du biopic d'artiste. Danièle Thompson a réussit à trouver un équilibre - certes fragile - entre un scénario attractif (limité dans le temps) et une sublime photographie pour rendre son film plus dynamique que le soporiphique Mr Turner ou Big Eyes de Tim Burton qui manquait cruellement de relief et faisait passer Amy Adams pour une véritable hystérique. Non-spécialistes, allergiques à l'histoire de l'art, spectateurs peu avertis, public qui ne veut pas réfléchir et se caler dans son fauteuil pour se laisser porter, passez votre chemin. C'est donc une tentative un peu ratée, mais qui ne lassera pas de vous surprendre. Alors, entre les deux Guillaume, plutôt team Gallienne ou team Canet ?
Retour en coulisses. Le lieu ? Aix-en-Provence, collège Bourbon. L'année ? 1851. Zola, le fils d'un ingénieur des travaux publics italien, Zola le paria, l'étranger, se lie d'amitié avec le châtelain Paul Cézanne. C'est ainsi que commence le film. Ou plutôt, non : on y aperçoit en premier plan un Zola fatigué, qui accueille Cézanne dans sa luxueuse et trop bourgeoise villa de Médan, après la publication de L'Oeuvre. Premier acte, où la rencontre fictive pose les jalons d'une série de souvenirs que les deux artistes se remémorent avec délices, regrets et amertumes. L'origine de la dispute est là, si bien que Danièle Thompson confond la fiction et la réalité : à de nombreuses reprises, le spectateur se demande s'il s'agit d'une histoire d'amitié réelle entre ces deux provençaux devenus (de force) parisiens ou d'un passage du roman.
L'Oeuvre tient dans ma bibliothèque une place toute particulière car c'est devenu, très vite, mon roman de langue française favori. Ce n'est donc pas un euphémisme de dire que j'attendais ce film avec impatience et appréhension. Découvert sur le tard, le roman de Zola réunit les deux domaines artistiques qui me tiennent le plus à coeur : peinture et littérature. C'était on ne peut plus naturel pour quelqu'un qui s'était improvisé comme chroniqueur des Salons, ces spectaculaires expositions qui accueillait les artistes agrées par l'Académie des Beaux-Arts. Or, le XIXe siècle signe l'apogée des manifestations artistiques destinées à promouvoir la création.
François Biard, Quatre heures au Salon (l'heure de la fermeture), 1847 Huile sur toile, 57 x 67 cm, Musée du Louvre |
Comme dans le film de Thompson, on remarque à travers cette toile de François Biard que la scénographie différait considérablement de nos conditions modernes d'exposition : un public grouillant, des toiles entassées ça et là sans aucun schéma apparent, que l'on lisait au moyen du catalogue distribué à l'entrée, aroborant les noms des peintres, dates et titres des oeuvres. Seulement, et c'est ce qu'explique Zola dans son récit, seuls les artistes favoris du jury ou qui réalisaient des peintures dites d'"histoire", au grand format, figuraient à hauteur d'oeil. Le lecteur l'aura compris bien vite, Claude Lantier, le personnage principal de L'Oeuvre, ne parviendra que très difficilement, contrairement à ses camarades parvenus, à obtenir le soutien financier d'un mécène.
En 1863, pour pallier à cet élitisme forcé, Napoléon III ouvre un second Salon, celui des refusés, afin de favoriser la création artistique contemporaine (entendons : les réalistes et les débuts de l'impressionnisme). Hélas ! Même les innovateurs comme Manet, grand favori de Zola, ne trouveront pas grâce aux yeux du nouveau jury. Son Olympia est d'emblée refusée, considérée comme bien trop provocante aux yeux de ce Second Empire pudibond. Ce qui ne manque pas d'étonner l'écrivain, qui rédige une critique assassine de la Vénus de Cabanel présentée la même année, pourtant débordante de sensualité, mais cautionnée par sa référence mythologique.
Alexandre Cabanel, La Naissance de Vénus, 1863
Huile sur toile, 130 x 225 cm, Musée d'Orsay
|
Edouard Manet, Olympia, 1863
Huile sur toile, 130 x 190 cm, Musée d'Orsay
|
Mais L'Oeuvre est aussi une histoire d'amitié. Une amitié farouche, conflictuelle, fraternelle, entre le peintre et l'auteur Sandoz (avatar de Zola, nous le comprenons bien vite). Et c'est ce volet du roman qui a suscité l'intérêt de Danièle Thompson.
Et pour cause, cette fille de (Gérard Oury) suivit des cours d'histoire de l'art à New York dans les années 60. Bien que connue pour ses comédies douce-amères qui révèlent nombreux règlements de compte à travers ses piques et répliques fusantes (La Bûche, Des gens qui s'embrassent), co-scénariste sur les plateaux de papa (La Grande Vadrouille, Rabbi Jacob), Danièle Thompson signe un film qui suit le destin tragique de deux hommes. C'est peut-être bien là le souci : on ne sait jamais vraiment où se situe la prise de parti entre l'humour et le drame.
Le montage également qui se pose comme une exploration entre le passé et le présent des deux artistes, introduit la notion de va-et-vient dans les souvenirs, censé donné au scénario plus de rythme. Pari manqué. Le récit perd en fluidité et sera malheureusement incompréhensible pour le spectateur étranger à Zola, la peinture du Second Empire et l'histoire du XIXe siècle. Qu'une chose soit claire : Cézanne et moi n'est absolument pas fait pour démocratiser l'art et la culture de cette époque. Des noms de peintres et écrivains esquissés s'ébauchent : Bazille, Monet, Champfleury... On les croise sans jamais les connaître en profondeur. Ceci dit, Danièle Thompson aura au moins le mérite de ravir les muséogeeks, apprentis artistes et amoureux de la littérature française : avouons-le, c'est toujours agréable de voir son ego flatté en reconnaissant tel personnage ou oeuvre dans un film, comme si vous partagiez le secret de son scénariste er que vous étiez sur la même longueur d'onde.
On a beaucoup reproché à Cézanne et moi l'absence de peinture. Des toiles, nous en voyons peu, ou de dos, de côté. Au Salon, le monumental Déjeuner sur l'herbe de Manet, une reproduction, manifestement, dont les dimensions ont été bien trop exagérées, polarise le regard de tous les spectateurs. Rappelons toutefois à la critique facile le problème de droits et de fonds auquel doivent se confronter les producteurs pour faire figurer une oeuvre dans un film. Quant aux répliques par d'autres peintres, elles sont bien souvent inexactes, ratées ou trop différentes des originaux. Je pense à ce titre aux atroces copies - mis à part l'oeuvre titre - de Vermeer dans le film La Jeune fille à la perle adapté du très ambigü roman de Tracy Chevalier, ou encore aux peintures préraphaélites de la série BBC Desperate Romantics, qui manifestement n'avait pas le budget nécessaire pour acheter les droits de reproduction autres que celui du célèbre Ophelia de Millais.
Afin de contourner ce parcours semé d'embûches, Danièle Thompson a décidé d'adopter une perspective artistique radicalement différente qu'on retrouve souvent chez les réalisateurs qui accordent une attention toute particulière à l'esthétique de leur film : celle de retranscrire la peinture à travers la photographie, le cadrage, les plans, les teintes, comme si elle construisait un tableau. La Montagne Ste-Victoire se dessine dans plusieurs scènes, sans que l'on voit ce qui apparaît sur la toile de Cézanne (le mystère reste ainsi entier !), le pique-nique joyeux fait, bien entendu, référence au Déjeuner sur l'herbe, de Monet, cette fois-ci.
Paul Cézanne, La Montagne Ste-Victoire vue des Lauves, 1902-1904
Huile sur toile, 69,9 x 89,5 cm, Philadelphia Museum of Art
Claude Monet, Déjeuner sur l'herbe, 1865-1866
Huile sur toile, 130 x 181 cm, Musée Pouchkine
S'il faut saluer la réalisation créative du film, force est de constater que la direction d'acteurs est inégale. Ce que j'ai apprécié, c'est le parler moderne des personnages, qui redonne un souffle de jeunesse à nos héros. Point de phrasé bourgeois, d'accents guindés ou d'expressions aristocratiques : Thompson a préservé la simplicité des romans de Zola, et c'est de ce côté ci que le film rend le sujet accessible. Ces artistes, finalement, on pourrait les croiser aujourd'hui.
Non, ce qui est plus gênant finalement, c'est Gallienne. Gallienne, qui se donne des airs de monstres sacrés et réduit le protagoniste de Cézanne / Claude Lantier à l'état de caricature, entre le peintre frustré, l'homme colérique et un Pagnol embourgeoisé. Gallienne qui force son accent provençal, si bien qu'on ne l'écoute même plus. Gallienne qui peint sans peindre. Nulle mention de sa technique révolutionnaire, à la charnière entre le post-impressionnisme et le cubisme. De lui, on n'apprendra rien. Celui qui m'a étonnée en revanche, c'est Canet. Plus rétive à ce réalisateur/ acteur bobo de la Place des Vosges, j'ai découvert en lui un Zola fatigué, sur le tard, résigné, en retrait. Et puis, son moment de bravoure survient lorsqu'il éructe face à Cézanne que lui aussi se torture pour une phrase, un paragraphe, passant des nuits entières devant. Le travail, toujours le travail. Sauf que lui ne le jette pas à la figure des autres comme Cézanne. C'est plus fort que lui, il ne peut pas en parler, c'est dans sa nature. Il préfère rester loin des honneurs et de la foule déchaînée. Au cours du récit, la tendance s'inverse : Cézanne l'ancien bourgeois s'appauvrit, devient le révolutionnaire, le garçon en chemise, et Zola le fils d'ouvrier trouve le confort, fréquente les hautes sphères artistiques, et sera croqué par Manet, Fantin-Latour, et bien d'autres encore... Il faut dire que la ressemblance de Canet avec le portrait de Manet est frappante.
Edouart Manet, Emile Zola, 1868
Huile sur toile, 114 x 146,5 cm
Musée d'Orsay
Paul Cézanne, Les Grandes baigneuses (détail), 1902 - 1904
Huile sur toile, 208 x 249 cm, Philadelphia Museum of Art
Rien n'est moins simple que de se frotter au difficile exercice du biopic d'artiste. Danièle Thompson a réussit à trouver un équilibre - certes fragile - entre un scénario attractif (limité dans le temps) et une sublime photographie pour rendre son film plus dynamique que le soporiphique Mr Turner ou Big Eyes de Tim Burton qui manquait cruellement de relief et faisait passer Amy Adams pour une véritable hystérique. Non-spécialistes, allergiques à l'histoire de l'art, spectateurs peu avertis, public qui ne veut pas réfléchir et se caler dans son fauteuil pour se laisser porter, passez votre chemin. C'est donc une tentative un peu ratée, mais qui ne lassera pas de vous surprendre. Alors, entre les deux Guillaume, plutôt team Gallienne ou team Canet ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire