mercredi 23 août 2017

"Imagine Van Gogh" à la Villette


  "Le mistral est d'un agaçant, mais quelle revanche, lorsqu'il y a un jour sans vent. Quelle intensité des couleurs, quel air pur, quelle vibration sereine"

Vous faire rentrer dans les tableaux de Van Gogh, s'intégrer à la matière, ses grands à-plats de couleurs telle Mary Poppins qui pénètre dans les dessins à la craie de Bert, est-ce-possible ? Annabelle Mauger et Julien Baron le pensent. Le clament tout haut même, emportés par les morceaux de Satie, Mozart, Bach ou Saint-Saëns. A la Villette cet été, on peut admirer les toiles de l'artiste fragmentées sur d'immenses panneaux numériques qui nimbent la Grande Halle, plongée dans le noir d'une aura singulière. Celle de la teinte colorée libérée de toute censure, de la touche qui étincelle. Plus de 200 oeuvres sont ainsi exposées, découpées en périodes géographiques qui suivent le cheminement de Vincent vers la mort, les deux dernières années de sa vie surtout, du Sud de la France en passant par les Flandres pour déboucher sur la banlieue parisienne. 


Pour une fois, le parcours biographique prend tout son sens. Lorsqu'on accède à la plate-forme par la gauche (qui d'ailleurs vous permettra, en son centre, de prendre de sublimes clichés du spectacle), de nouvelles reproductions accompagnées de citations - les lettres de Vincent à son frère, pour la plupart - reconstruisent la brève mais trépidante vie de ce hollandais autodidacte que tout destinait à devenir pasteur. La seule déception, c'est de ne pas voir ces cartels traduits en anglais, alors que j'y emmenais précisément des américains. 
Vincent Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, 1888
Huile sur toile, 92 x 72,5 cm, Musée d'Orsay
En revanche, j'ai apprécié l'extrême justesse du parti-pris, l'absence de jugement dans le rapport à la création artistique et la folie. Il faut que dire que Van Gogh, je l'avais vu encore et encore dans les livres, et on en parle peut-être un peu trop, sans compter que rien ne m'agace plus que les visiteurs du Musée d'Orsay agglutinés devant la Nuit étoilée qui se précipitent devant elle comme face à une Joconde. Si l'entrée en fanfare d'une oeuvre dans la culture populaire ne me dérange pas (bien au contraire !), j'ai toujours du mal avec l'effet de masse, d'autant plus qu'à peu près n'importe qui serait incapable d'expliquer pourquoi elle ou il s'enthousiasme pour un tableau, qui, à force d'être montré, en perd sa signification ou, plus grave, son degré de sensation à échelle humaine. 
 
En réalité, mon voyage post-impressionniste a débuté lors d'un périple très pluvieux à Amsterdam. 17 ans, la famille qui se chicane, ne parvient pas à prévoir pour satisfaire tout le monde, la foule, la pluie, encore la pluie. Arrivée au Musée Van Gogh. J'avance seule. Visse mes écouteurs, "de la musique avant toute chose". Du piano. Chopin, Debussy. La magie opère. Quelle n'a pas été mon émotion de retrouver cette association, cette synesthésie si parfaite entre le son et l'image ! Il y a quelques années à Orsay, c'était un autre type d'osmose qu'Isabelle Cahn tentait de mettre en valeur : celle entre Van Gogh et Artaud. On adoptait la même bienveillance envers l'histoire médicale du peintre à travers le regard passionnel du dramaturge. Les "insupportables vérités" que dénonçaient Artaud, celles d'un vertige ambiant français en mal de gloire, embourbé dans cette fin-de-siècle nauséeuse, avait poussées Van Gogh au suicide. Et Artaud avait raison. Il avait tellement raison que la projection de mon tableau favori de Van Gogh commenté par la voix rauque de l'écrivain; la projection de ce tableau si noir, si menaçant malgré son explosion de coloris, m'avait bouleversée. Il m'a fallu quelques jours pour m'en remettre, de cette expo. 

Champ de blé aux corbeaux, 1890
Huile sur toile, 100,5 x 50,5 cm, Musée Van Gogh

Dès les premiers pas dans la Grande Halle, il est vrai, je n'étais pas aussi transportée. Mais les pièces qui orchestrent les peintures parviennent à me transporter. Après avoir observé les silhouettes qui se découpent sur ces panneaux de 11 m de haut, on se relaxe, se pose, s'assied ou se couche pour écouter, et observer. Puis surtout il y a eu ça... les premières notes de la suite au violoncelle de Bach qui accompagnent les amandiers en fleurs et rouges. A ce moment là, j'étais complètement envoûtée. Trente minutes, c'est le temps de la projection qui offre un voyage dans l'espace-temps où ce dernier se délie. C'est incroyablement apaisant, et plus d'un adepte du zapping ou accro à son smartphone devrait y faire un tour. Voilà ce que j'appelle un emploi des nouvelles technologies "intelligent". 

  

De temps à autres, le temps de la projection, le regard de Vincent joue à cache-cache avec le nôtre. Van Gogh fait partie des peintres qui, à travers ses douzaines d'autoportraits, a sondé son intériorité avec une remarquable obsession. La scénographie de la Halle qui vous enveloppe comme en un cocon s'adapte parfaitement à la touche divisée de l'artiste : le post-impressionnisme, ce n'est pas seulement un degré supérieur l'impressionnisme (à savoir la représentation de la réalité telle qu'on la ressent, les impressions, les sensations qu'elle provoque sur nous), mais un subtil mélange entre une subjectivité affirmée et une recherche quasi-scientifique des effets des pigments sur la rétine. C'est à ce titre l'autoportrait d'Orsay qui dans ma mémoire enregistre le contraste de teintes complémentaires qu'on trouve peut-être le plus chez Van Gogh : camaïeux de bleus et orange. 
Ainsi je ne suis pas certaine que ce type d'exposition fonctionnerait aussi bien avec l'art du 18ème ou de la Renaissance, malgré la dimension narrative ou le goût de l'époque pour le détail. Le titre de l'expo convoquera inlassablement, quant à lui, les paroles de John Lennon, rêveur invétéré comme Vincent Van Gogh et aspirant à un monde meilleur, sans maladie, sans déboires amoureux, un monde d'art et de culture: 

Imagine there's no heaven 
It's easy if you try
No hell below us
Above us only sky


Le transport, l'invitation au voyage : "Imagine Van Gogh" est un parfait exemple de scénographie immersive. Le projet est né lors de la création des cathédrales d'images aux Baux de Provence en 2001, dans d'anciennes carrières de calcaire désafectées.
La passion des organisateurs ? Mettre l'informatique, le numérique, au service de l'art. Le concept d'image totale, qui fait rage depuis le début des années 2000 s'implante tout doucement en France. Le spectacle avait déjà rencontré un vif succès à Singapour et Las Vegas. Or, il y a toujours un souci d'espace : la Halle de la Villette permettait d'accueillir le projet quasiment sur mesure. Mais avec une taille d'une telle envergure, il fallait assurer la synchronisation du son et de l'image, installer un réseau de fibre optique performant et adapté. "Coller à la toile" et vous approcher de la texture des oeuvres de Van Gogh, c'étaient le pari de Julien Baron et Annabelle Mauger. Dans un souci de transparence, ceux-ci reproduisent sur le site de l'exposition non seulement les cartels explicatifs et détaillées sur les dernières années du peintre, mais aussi les références de la compilation jouée lors de cette création audiovisuelle. D'ailleurs, ce serait pas la gnossienne d'Erik Satie dont on percevrait les notes de fond ? 













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