samedi 12 août 2017

"Chroniques italiennes" de Stendhal


 Il y a certaines cultures, certaines régions, dont on ne parle pas forcément la langue, mais que j'ai abordé à travers l'art et surtout, la littérature. Ce ne sont pas nécessairement des pays qui exercent sur moi une influence magnétique comme ceux de l'Amérique du Sud, la Turquie, l'Inde, ou la Grande-Bretagne, des pays dont je recherche à tout prix la gastronomie, la musique... mais plutôt des endroits que j'ai connus grâce aux récits que j'ai lus qui ont nourri mon imagination. L'Italie en fait partie. L'Italie, en réalité, c'est un peu un fantasme. C'est notamment à travers les yeux des auteurs français du 19ème siècle que j'ai pu me réconcilier avec la Renaissance et ses subtilités, que j'ai pu ressentir la bise qui effleure ma peau à l'ombre d'un pin parasol. 
A l'instar de Nerval, l'Italie convoque en moi toutes sortes de chimères et d'images dignes d'une carte postale, des banditti poursuivant la demoiselle éplorée des romans gothiques de Anne Radcliffe (et pourtant... dieu sait le peu de crédit que j'accorde à cette auteure), en passant par la sensualité lyrique de ces écrivains rêveurs se complaisant dans le "mal du siècle" français, pour déboucher sur l'obligatoire Grand Tour des peintres britanniques - l'Italie en constituant l'étape ultime, le canon esthétique à imiter absolument dans tout paysage sublime ou pittoresque qui se respecte. 

 

En allant à Gênes cet été, je me suis rendue compte que si je n'en maîtrisais pas l'idiome, j'étais capable de saisir - bien que grossièrement - l'enveloppe des conversations. Ainsi, les Chroniques italiennes de Stendhal resteront à jamais associées dans ma mémoire à ce voyage. Planifier ses lectures en fonction de ses vacances, c'était un astucieux moyen de sortir de mon quotidien, de me mettre dans l'ambiance, de créer le désir de ce là-bas, en somme : une invitation au tourisme. 
Stendhal et moi, c'est une longue histoire, on s'est tout de suite plus, malgré mon jeune âge - 14 ou 15 ans, les débuts du lycée, les autres étudiants qui geignent face à la longueur du Rouge et du Noir, alors que j'étais bien contente d'avoir une professeure m'occupant mains et esprit pour tromper l'ennui mortel qui m'accablait à l'époque - et on ne s'est jamais vraiment déçus depuis. 
L'indubitable découverte, le "coup de pistolet dans un concert", pour reprendre les mots de Monsieur Beyle, ce fut La Chartreuse de Parme, publiée d'ailleurs en même temps que la majorité des Chroniques. Beaucoup d'encre a coulé sur la véritable passion que Stendhal voue à l'Italie. On l'aura compris, non seulement il n'est pas né au bon siècle (Beyle désirait devenir dramaturge), mais en plus il ne souhaite qu'une chose, c'est de quitter sa patrie. Pour l'incorrigible insatisfaite pseudo-aventurière que j'étais, il va sans dire que Stendhal parlait à mes tripes, mon âme, et surtout, à mon coeur. 
Malgré la prépa et l'échec cuisant de mon épreuve de littérature avec La Chartreuse en vedette aux concours, ma fascination pour l'Italie de Stendhal ne s'est pas éteinte, au contraire, je pensais qu'à dessein, ce monument était si complet, si fastueux, qu'on ne pouvait le contenir dans une étude, aussi brillante soit-elle. 
Et tant pis pour Michel Crouzet et son désenchantement du monde. 


NON, ceci n'est PAS la Révolution de 1789
NON, ce tableau n'a pas été peint après la rédaction des Misérables

Si la Préface des Chroniques oppose une fois de plus le vice français au bouillonnement et l'enthousiasme italiens, le malaise stendhalien semble en revanche avoir disparu. Comme si le retour aux vieux manuscrits de la Renaissance dénichés en 1833 avait effacé toute amertume. Il faut dire que Stendhal, ancré  dans le port de Civitavecchia, nommé consul par la France depuis 1831 (poste qu'il a abandonné au bout de trois mois), s'ennuie sec. Alors, il écrit. Dégoûté, comme tous les romantiques, par la Restauration, puis ensuite déçu par le gouvernement de Juillet installé suite à la Révolution des Trois Glorieuses, la mélancolie se mue en une recherche désespérée du bonheur, que les critiques littéraires appelleront plus tard : le beylisme. Timide mais fougueux, Stendhal aspire à concocter une recette, une méthode de l'émerveillement, qu'il met en scène dans des récits d'un romanesque ébloui. Et c'est en Italie qu'il trouve sa couleur, non plus son rouge et son noir, mais ses teintes pastel, son rose et son vert, qui contrastent merveilleusement avec les ocres des roches et les nuances céruléennes des flots tyrrhéniens. Le tempérament italien également semble l'attirer irrésistiblement, l'apaiser même. 

Dans les Chroniques, il est question de passion, au sens latin du terme. La passion est ardeur, transport, mais aussi souffrance. Après l'expérience des salons parisiens, la gloire littéraire et des échecs sentimentaux, ce recueil se présente comme un retour aux sources, à la stabilité, au calme. Les premières nouvelles sont publiées secrètement dans La Revue des Deux Mondes entre 1837 et 1839. Il faudra attendre la mort de Stendhal pour les autres. Le titre de l'une d'entre elles avait il y a longtemps attiré mon oreille : "Vanina Vanini". Elle demeure aujourd'hui mon intrigue favorite, celle d'une princesse orgueilleuse qui s'éprend d'un carbonaro blessé, caché en haut de la tour du château par son père. Elle fera tuer l'homme de sa vie par jalousie de l'amour qu'il porte à la patrie et la politique. 

On retrouve bien la tragédie, le théâtre, chers à Beyle à travers la réécriture de ces manuscrits : "Vittoria Accoramboni" relate la grandeur puis décadence de l'héroïne éponyme, admirée de toute la cour de Rome mais convoitée pour son immense fortune. Cette femme au centre de toutes les machinations politiques finira sa vie accablée par le chagrin au couvent de Padoue. 
Religion, trahisons, brigands de grand chemin, meurtres et égarements amoureux : voici les ingrédients majeurs pour déguster ces Chroniques, dignes du meilleur feuilleton télé HBO. Un schéma récurrent se dégage, pourtant, à l'instar des plus illustres légendes de la mythologie grecque (ou devrais-je dire, romaine !) : celui de jeunes gens bravant l'interdit de leurs ancêtres. Ainsi Hélène, l'"Abesse de Castro" est-elle manipulée par sa mère sur-protectrice pendant des années, et croit à tort que son bien-aimé, mort, ne lui reviendra jamais. 



La séduction et les plaisirs charnels, thèmes-clefs, sont toujours évoqués avec  beaucoup d'élégance; rappellent l'épique formule aucune résistance ne fut opposée de la Chartreuse, lorsque Fabrice parvient à faire preuve de son amour pour Clélia, la fille du geôlier de la prison à la Tour Farnèse. "L'échaffaudage de la bâtisse" (Charles J. Stivale) est chez Stendhal indissociable de la montée croissante du désir pour l'Autre, que l'on conquiert comme un nouveau territoire. Guerre, violence et attirance se complètent. Aussi l'auteur se remémorre-t-il la parenté entre les différentes versions géographiques du Dom Juan en exergue des "Cenci". Dans "San Franciso a Ripa", la princesse, dévorée par la haine pour sa rivale, requiert du libertin français Sénécé d'être valeureux, de se battre pour elle, auquel cas, un malheur lui arriverait. Nous ne sommes guère loin du conte médiéval ou de la fin'amor, l'amour courtois en langue d'Oc.
Le versant comique du badinage est évoqué dans "Trop de faveur tue", lorsque le comte de Buondelmonte se voit charger de surveiller un couvent florentin connu pour héberger l'une des pensionnaires les plus exigeantes de son temps, Felize degli Almieri. A force d'orgueil et de manigances pour s'apprêter lors des venues du comte, Felize finit par entraîner la mort de l'amant de l'une de ses camarades... 


Henri Beyle, alias Stendhal
Le plus badass des romantiques
"La vérité, l'âpre vérité" : au sein de tous ces récits, transparaît l'analyse psychologique. Pour chacun de ses personnages, Stendhal place un idéal, une aspiration. Plus que dans n'importe quel autre récit, les protagonistes des Chroniques se distinguent par leur vitalité. Si celles-ci ne possèdent pas le génie des grands romans stendhaliens, la quête de la félicité anime chacune de ces histoires hauts en couleur. A certaines reprises un peu redondantes, c'est peut-être avec ces vieilles légendes que Stendhal a su trouver la paix et se réconcilier avec la formule shakespearienne qui orne la dernière page de la Chartreuse de Parme, pour en faire lui-même partie : 
                                          To the happy few


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