Les Carnets de Viviane: Parlez-nous de vos travaux sur l'époque victorienne
Marianne Camus: J’ai débuté mes recherches en travaillant sur l’articulation des notions d’esthétique et de politique, en me concentrant sur le genre et la classe sociale en littérature victorienne. Littérature et peinture étant associées à l’époque en Angleterre (peinture narrative ou illustrant œuvres littéraires, écrivains étant aussi artistes), j’ai vite travaillé dans les deux domaines et suivant deux lignes : 1) la construction et la manipulation de stéréotypes féminins par les hommes dans romans, poésie et art, 2) La réponse des femmes à ces stéréotypes imposés. Par exemple la création d’héroïnes non conformes (Charlotte Brontë), le brouillage des stéréotypes (George Eliot), ou le travail de sape discret mais efficace (Gaskell). Je ne cite ici que des écrivaines car au début, du moins, les artistes peintres victoriennes semblaient simplement ne pas exister. J'ai donc suivi une recherche de femmes artistes oubliées et l’examen de leur travail et l’analyse de leurs différences par rapport aux normes masculines, ou de l’absence de différence, qui est parfois frappante ou encore le pas de côté effectué par certaines (Barbara Bodichon) se concentrant sur le paygage.
Barbara Leigh Smith Bodichon, Une procession encapuchonnée, non daté Aquarelle sur papier, 25,4 x 35,5 cm Collection Mark Samuels Lasner, University of Delaware Library |
Les Carnets: Pourquoi pensez-vous que l’art de la période victorienne connaît à présent un regain d’intérêt, en particulier outre Manche ?
MC: Les frémissements d’un regain d’intérêt remonte aux années 90 et se cristallise avec l’ énormes expo de 2003 de la collection d’Andrew Lloyd Webber qui avait acheté des tas de tableaux très bon marché dans les années 60 et 70 alors qu’ils étaient très peu chers.
Cela correspond avec un désir de retrouver et de se reconnaître dans une période puissante et glorieuse du pays, l’Angleterre ayant du mal à se voir comme nation ordinaire. A cela s’ajoute dans les années 2000 le grand questionnement : qu’est-ce qu’être anglais ? (les Ecossais ou les Irlandais ont une vision de leur identité nationale bien plus affirmée).
Sans oublier, bien sûr les considérations marchandes.
Sans oublier, bien sûr les considérations marchandes.
Les Carnets: Désirs et voluptés, Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde, voici de récentes expositions qui mettent à l’honneur la représentation de la femme. Comment peut-on expliquer un tel engouement pour le sujet, après des années de rejet de la peinture britannique ?
MC: D’abord les termes choisis : désir, morale et volupté et leur connotation de sexualité transgressive. Le nom d’Oscar Wilde, qui n’est actif qu’en toute fin de siècle, confirme cette lecture.
Ensuite le fait que plus que des représentations de la femme, ces peintures sont des représentations des fantasmes masculins de la femme. A une époque où les femmes s’affirment en tant que sujets, ce que les hommes trouvent parfois un peu difficile à vivre, un peu de régression est toujours agréable.
Il me semble qu’il s’agit surtout d’un mouvement de mode, plus que d’un vrai travail sur l’art victorien. L’expo mentionnée se contentait d’accumuler les œuvres dans un joyeux fouillis, comme pour montrer par la multiplicité des exemples que l’Angleterre victorienne était aussi obsédée par le sexe que la nôtre. Ce qui n’est pas vraiment un scoop.
Les Carnets: Vous avez écrit sur la figure de la sorcière dans l’œuvre de Dickens. C’est un motif qui fascine aussi les artistes de l’époque. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?
MC: Plus que la sorcière (ça c’est vraiment Dickens), il me semble que les artistes victoriens sont fascinés par la figure de la femme fatale (qu’ils ont pour ainsi dire inventée) et celle de la femme dévorante. Pour la femme fatale, il n’y a qu’à regarder la plupart des peintures de Rossetti ou La belle dame sans merci de Dicksee ou la belle dame de la légende médiévale est transformée de manière très claire en femme fatale pour qui sait lire l’image, ce que les Victoriens faisaient sans peine. Quand à la femme dévorante, il n’y a qu’à se référer aux nombres de sirènes dans l’art victorien (Le pêcheur et la sirène de Lord Leighton en est un exemple parmi plein d’autres). Ou aux nombres de peintures où la femme prend l’initiative sexuelle, le plus connu étant Phyllis et Démophon de Burne-Jones qui suscité la colère des critiques contemporains pour cette raison même. De nouveau, il n’est pas difficile de trouver d’autres exemples de représentation de femmes non conformes aux stéréotypes et de la fascination et de la crainte qu’elles suscitaient.
MC: Plus que la sorcière (ça c’est vraiment Dickens), il me semble que les artistes victoriens sont fascinés par la figure de la femme fatale (qu’ils ont pour ainsi dire inventée) et celle de la femme dévorante. Pour la femme fatale, il n’y a qu’à regarder la plupart des peintures de Rossetti ou La belle dame sans merci de Dicksee ou la belle dame de la légende médiévale est transformée de manière très claire en femme fatale pour qui sait lire l’image, ce que les Victoriens faisaient sans peine. Quand à la femme dévorante, il n’y a qu’à se référer aux nombres de sirènes dans l’art victorien (Le pêcheur et la sirène de Lord Leighton en est un exemple parmi plein d’autres). Ou aux nombres de peintures où la femme prend l’initiative sexuelle, le plus connu étant Phyllis et Démophon de Burne-Jones qui suscité la colère des critiques contemporains pour cette raison même. De nouveau, il n’est pas difficile de trouver d’autres exemples de représentation de femmes non conformes aux stéréotypes et de la fascination et de la crainte qu’elles suscitaient.
Je pense également qu’il ne faut pas oublier quand on parle des femmes puissantes ou dévorantes, de leur contrainte, les femmes victimes. Cf. le nombre d’Ophélie peintes à l’époque, ou de femmes ‘déchues’ finissant dans la rue ou sous les ponts (Millais, Egg par exemple)
Franck Dicksee, La Belle Dame sans merci, vers 1901 Huile sur toile, 137 x 188 cm Bristol Museum and Art Gallery |
Les Carnets: Quel a été l’impact d’artistes et modèles femmes comme, par exemple, Elizabeth Siddal, peintre et muse préraphaélite ?
MC: Je pense que les femmes muses ont simplement été utilisées par ces artistes toujours à la recherche de ce qu’ils appelaient des « stunners » pour alimenter la représentation de leur féminité rêvée. Je pense également qu’il y a encore un énorme travail à faire pour redécouvrir et réévaluer toutes les femmes artistes qui, parce qu’elles étaient intimement liées à des artistes connus, ont été rangées au rang de muse ou compagne.
Edith Hayllar, Averse d'été, 1883 Huile sur toile, 53,4 x 44,2 cm Royal Academy, Londres |
Certaines, comme Rebecca Solomon a travaillé dans la peinture narrative un peu de manière romanesque pour montrer la situation des femmes pauvres. D’autres comme Joanna Boyce ou Lucy Madox Brown ont produit des portraits de femmes qui sont de vrais portraits et pas des représentations de créatures extraordinaires. Edith Hayllar remet aussi tranquillement en question les normes alors en cours (Averse d’été). Et il y en a d’autres.
Les Carnets: Sur quels domaines vos travaux futurs portent-ils ?
MC: Je travaille en ce moment sur la notion de réseaux de femmes artistes, mais pas limité à l’Angleterre. Deux journées d’études sur la place des femmes dans les réseaux mixtes (à partir du 18ème), et sur la création de réseaux féminins (20ème), sera suivie l’année prochaine d’une journée sur l’art contemporain et la notion de réseau global.
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