Regarder
des soaps operas[1] et séries télévisées qui mettent en
scène des personnages auxquels nous pouvons nous identifier fait à présent
partie de nos distractions habituelles. Nous sommes plongés dans les tracas de
leur vie quotidienne, pour partager avec avidité leurs joies, leurs peines de
cœurs et leurs préoccupations. Si cet attrait pour la représentation de
personnes ordinaires s’observe dès les débuts de la peinture de genre au sein
de l’école flamande, il connaît un succès sans précédent à l’époque
victorienne. Dans son roman Adam Bede,
George Eliott s’exclame : « Je ressens la plus exquise des
compassions en contemplant ces scènes pittoresques d’une vie simple et modeste,
que tant de mes semblables ont vécue, plutôt qu’une destinée glorieuse truffée
d’héroïques exploits ».
David Teniers, Fumeurs dans un intérieur, vers 1637 Huile sur bois, 37,3 x 39,4 cm Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid |
La
femme de lettres prouve qu’au 19ème siècle, la scène de genre
détrône la peinture d’histoire. La peinture de genre, qui dépeint un univers
familier à dimension anecdotique, détient un statut inférieur dans la
hiérarchie des genres établie en Grande-Bretagne par Reynolds, mais elle atteignit
un exceptionnel degré de maturité au 17ème siècle aux Pays-Bas, que
l’on caractérise d’« âge d’or de la peinture flamande ». David Teniers
(1610 – 1690) et Jan Steen (1626 – 1679) sont très appréciés des intellectuels
victoriens. L’avènement de la bourgeoisie sur le plan socioculturel crée un
terrain fertile pour les peintres de genre : les classes moyennes désirent
posséder des œuvres qui mettent en image des personnages dans lesquels ils
peuvent se reconnaître.
David Wilkie, Le joueur de violon aveugle, 1806 Huile sur bois, 57,8 x 79,4 cm Tate Britain |
David
Wilkie (1785 – 1851) et Charles Robert Leslie (1794 – 1859) incarnent au 19ème
la première génération de maîtres de la scène de genre. Influencés par William
Hogarth, ils s’inspirent également d’œuvres littéraires : Le bourgeois gentilhomme de Molière
remporte un certain succès à l’époque où les nouveaux riches issus des classes moyennes se mettent à dominer le
marché de l’art. Progressivement, la peinture de genre voit apparaître des
scènes de la vie quotidienne. Si la bonne société en devient un des motifs les
plus récurrents, les artistes font aussi figurer la femme comme allégorie des
classes laborieuses. Dès lors, la femme occupe cette dangereuse frontière entre
le statut de la chaste vierge et celui de la prostituée. Pour les peintres les
plus académiques, il s’agit d’atténuer cette ambivalence en faisant de la femme
une icône de la vie de famille. La
scène de genre constitue l’un des sujets les plus abordables pour les artistes
femmes. Avec le portrait, c’est la catégorie que l’on suppose respectable pour
celles qui étaient tenues de passer la plupart de leur temps au sein du domaine
conjugal. On concevait les compétences créatives du sexe faible comme
limitées : la scène de genre, qui dans l’esprit des intellectuels,
exigeait une aptitude médiocre, était parfaitement adaptée aux bourgeoises
désirant pratiquer ce loisir en tant qu’amateur. Peu de rôles sont ainsi
accessibles aux femmes et par les femmes dans la peinture de genre, même si réalistes
et préraphaélites ont tenté d’apporter une vision quelque peu nuancée à ces
stéréotypes.
William Powell Frith, La plage de Ramsgate (La vie au bord de mer), 1852 – 1854
Huile sur toile, 155,1 x 77 cm, Collections royales
Loisirs et activités de la femme victorienne
Originaire
du Yorkshire, William Powell Frith (1819 – 1909) fait preuve d’un sens
commercial aigu dés son plus jeune âge en voulant devenir commissaire-priseur. Dans
les années 1840, Frith s’intéresse aux sujets de la vie quotidienne. Il nourrit
l’ambition de peindre un échantillon représentatif de toutes les couches de la
société victorienne. L’attitude méthodique qu’il adopte lors de la composition
de ses toiles s’apparente au souci de vérité quasi scientifique des
britanniques relatif à la représentation des traits du visage, du costume
contemporain et du paysage. Le projet de Frith constituerait l’ancêtre du
reportage télévisé : ses scènes de la vie courante possèdent une vigueur
qui se démarque de la peinture littéraire de ses débuts. Ce sont entre autres
ces toiles aux teintes chatoyantes qui nous ont permis de nous représenter
l’époque victorienne telle que nous la percevons aujourd’hui.
Frith
s’essaye pour la première fois aux dimensions du panorama en 1851 avec La plage de Ramsgate. Las des portraits
en costume, Frith raconte : « J’ai été attiré par la diversité de
personnages sur la plage (…) de charmants groupes de femmes lisaient,
flânaient, s’affairaient, sans s’apercevoir qu’elles formaient l’attrayant
sujet d’une composition. » Encouragé par ses amis Thomas Webster et
Augustus Egg, Frith mit trois ans pour terminer cette œuvre monumentale.
Frith
excelle dans l’art d’attirer l’attention du spectateur sur les éléments de la
toile qui possèdent une forte intention dramatique. Le point de fuite se situe
au niveau du seul personnage ayant un contact direct avec la mer, la petite
fille qui soulève sa robe pour tremper ses pieds. Elle porte un bonnet pour se
protéger du soleil, que l’on fuyait à l’époque pour préserver un teint
d’albâtre. Comme la chaise longue n’avait pas encore été inventée, on ramenait
ses propres meubles pour « prendre les eaux », le nouveau loisir à la
mode chez les femmes de la bonne société. Admirée par la reine en personne, la
toile de Frith remporta tous les suffrages.
Maria Matilda Brooks, De Piccadilly jusqu'au marché de Covent Garden un matin de juin, 1882 Huile sur toile, 95 x 127 cm, localisation inconnue |
Grâce
aux transports en communs modernes tels le train ou l’omnibus, il était
possible de passer quelques jours à la campagne ou à la mer. L’omnibus présente
un sujet fécond pour les artistes victoriens car il leur permet de représenter
des passagers issus de classes sociales diverses. Maria Matilda Brooks (1837 –
1813) se forme à l’école de South Kensington, puis à la Royal Academy. Elle se
fait ensuite connaître par ses portraits et scènes de genre. Le
cadrage serré renforce les dimensions étroites de l’intérieur qui figure dans De Piccadilly jusqu’à Covent Garden.
Maria Brooks s’inspire d’une tradition artistique en vogue au 18ème
siècle qui fit la renommée de Hogarth : la conversation piece. Ce terme désigne un portrait de groupe réuni
autour d’une discussion informelle. Si celle-ci auparavant ne mettait en scène
que les membres de la gentry, le
genre s’étend aux classes laborieuses, telles ces bouquetières qui se rendent
sur leur lieu de travail.
William Hogarth, The Cholmondely Family, 1732 Huile sur toile, collection particulière |
L’ange de la maison
La
représentation des femmes qui travaillent ou s’adonnent à des loisirs de plein
air est pourtant bien éloignée de la plupart des scènes d’intérieur que l’on
trouve à l’époque. La sphère privée est le domaine auquel les femmes de la
bourgeoisie sont reléguées. Le foyer constitue une institution sacrée que les
peintres se sont plu à représenter tout au long de la période victorienne. L’expression
d’ « ange de la maison » est à ce titre employé pour désigner la
matrone respectable, modèle de chasteté et de pureté[2].
Toutefois, Mrs Isabella Beeton, l’auteur du Manuel
de gestion domestique, décrit l’épouse comme une figure d’autorité, qui
tient « les reines d’une main ferme et tendue, sans jamais se séparer du
fouet, qu’elle n’utilise que rarement ». Victoria elle-même, bien que peu
portée sur la procréation, incarnait cet idéal. Cette mère de neuf enfants
transmettait inconsciemment le message suivant : le rôle de la femme,
c’était d’enfanter et de diriger avec succès la maisonnée.
Adopter
une posture polémique quant à ce statut présentait pour les artistes femmes un
choix audacieux. Emily Mary Osborn (1828 – 1925) fit des portraits d’enfants et
de femmes déchues ses thèmes de prédilection. En s’attaquant au sujet de la
veuve ou du sinistré, Emily Osborn invitait le spectateur à éprouver de la
compassion.
Emily Mary Orsborn, Retour à la maison, 1856 Huile sur toile, 28 x 38 cm, localisation inconnue |
Retour à la maison n’est pas exempt d’interrogations sur la condition
féminine. Ce n’est pas un hasard si l’unique personnage masculin est écarté de
l’action principale. Le subtil jeu de regards rend notre interprétation de la
scène plus complexe qu’elle n’y paraît. On y aperçoit une domestique qui
déboutonne la capeline d’une fillette de retour d’une promenade, cette dernière
observant directement le spectateur. Sa sœur malade lui jette un coup d’œil
envieux, tandis que la mère au second plan contemple avec bienveillance la
gouvernante qui a préparé la leçon à venir.
Enfants et histoires d’amour : le sentimentalisme à
l’anglaise
Si
l’épouse est un des emblèmes de la peinture de genre, le temps des premiers
amours constitue un des motifs les plus populaires de la peinture victorienne.
Sérénades, retrouvailles et chagrins, tous les aspects de la passion amoureuse
sont évoqués dans ces scènes qui nous paraissent aujourd’hui dépassées. L’habile
technique de la lettre issue de la tradition épistolaire permet à l’artiste de
faire figurer sur la toile des temporalités différentes : elle suggère un
avant et un après la lecture, que le spectateur est amené à imaginer. Dans Le sonnet, William Mulready (1786 –
1863) accentue l’attente de l’amant en refusant de nous montrer son visage.
Celui-ci touche nerveusement ses lacets pendant que la jeune fille réprime un
éclat de rire.
William Mulready, Le sonnet, 1836 Huile sur panneau, 31 x 39 cm Victoria and Albert Museum |
Aussi
fréquentes sont les scènes de genre qui mettent en scène des enfants. Ce sont
les romantiques qui ont remis ce sujet au goût du jour, en préférant la
représentation contemporaine à celle des angelots et putti qui peuplent la peinture allégorique. Au début du 19ème,
la figure de l’enfant évoque un paradigme de l’innocence. C’est avec le
développement des attitudes puritaines de l’époque victorienne qu’il est
progressivement associé au péché originel, il nécessite une éducation ferme et
le châtiment si besoin. Les scènes de groupe qui comportent des enfants
présentent donc un message moral fort. Les tableaux qui suggèrent la tentation
à travers la représentation de fruits ou de friandises sont des poncifs du
genre. Même les portraitistes ou peintres d’histoires s’essayèrent au sujet, au
risque de se faire accuser de mièvres : Millais fut particulièrement
raillé lorsqu’il collabora avec le fondateur de l’entreprise Pears Soap qui
désirait utiliser son œuvre Les bulles de
savon (1886) pour sa campagne publicitaire. Rappelons nous qu’à l’époque
victorienne, la mortalité infantile est encore très virulente et les maladies
font partie du quotidien.
Sophie Anderson, On ne sort pas aujourd'hui 1850, huile sur toile, 49,5 x 39,5 cm Collection particulière |
La
fascination des victoriens pour les enfants révèle les attitudes contemporaines
à leurs égards. A l’époque ou la pédophilie n’était pas clairement identifiée,
il était fréquent de voir des photos de petites filles nues circuler parmi les
membres de la bourgeoisie. Lewis Caroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles, réalisait lui-même des clichés des
fillettes Liddell à demi vêtues. Sophie Anderson (1823 – 1903) présente
également une vision de l’enfance qui diffère considérablement de la majorité
des images d’enfants espiègles que nous associons volontiers à la peinture
victorienne. Le titre est suffisamment évocateur, c’est l’expression maussade
de la petite fille à travers la fenêtre qui retient l’attention du spectateur.
La femme comme icône de la misère
humaine
S’il
est rare de trouver des tableaux évoquant la misère des classes laborieuses, la
femme pauvre n’en demeure pas moins un topoï
de la peinture de genre. Sous la palette d’artistes bourgeois, elle est
sublimée ; à travers les œuvres du mouvement réaliste, elle incarne le
symbole du paupérisme contre lequel le spectateur doit s’insurger. L’une des
professions les plus fréquentes pour les femmes issues des classes moyennes
était celle de gouvernante. Le peintre Richard Redgrave (1804 – 1888), issu
d’une famille modeste, avait deux sœurs gouvernantes dont l’une mourut du
typhus à l’âge de vingt ans. Le sujet fait ainsi sont apparition en littérature
(Jane Eyre et Agnes Grey des sœurs Brontë) et en peinture dans les années 40.
Rebecca Solomon, La gouvernante, 1851
Huile sur toile, dimensions et localisations inconnues
Rebecca Solomon (1832 – 1886) se rallie à la cause de la gouvernante dans ce
tableau de 1854. La toile suggère la position complexe de l’héroïne éponyme,
qui, ayant quitté sa propre famille, ne fait pas non plus véritablement partie
du foyer pour lequel elle travaille, malgré son salaire plus élevé que celui
des domestiques. Son expression austère et sa robe noire s’opposent aux
distractions de sa jeune maîtresse qui joue pour son mari. Avec sa composition
en sections bien séparées, Rebecca Solomon démontre que la gouvernante
appartient au domaine des enfants, celui de la nursery.
Plus
émouvante encore est La couturière de
Richard Redgrave. L’artiste fut influencé par un poème de Thomas Hood intitulé Ode à la chemise (1843). L’industrie
textile constituait le secteur aux conditions de travail les plus déplorables.
Le visage de cette couturière est décharné, et ses yeux cernés sont injectés de
sang. Malgré la pendule qui indique deux heures passées, elle est toujours à sa
besogne pour terminer sa commande du lendemain. La réaction de l’artiste Paul
Falconer Poole devant ce tableau est symptomatique du succès qu’il rencontra
lors de son exposition à la Royal Academy : « Si toute préoccupation
serait en pouvoir de me faire combattre l’injustice sociale, c’est bien la
contemplation de ce merveilleux tableau plein de vérité ».
Richard Regrave, La couturière, 1844 Huile sur toile, 63,9 x 76,9 cm, collection particulière |
Les
peintres naturalistes portent un intérêt encore plus vif aux figures féminines
marginales. Dans les années 80, nombreux étaient ceux qui éprouvaient un
mécontentement croissant face aux enseignements de la Royal Academy. Au Salon
de 1850 à Paris, Courbet s’était proclamé chef de file de l’école réaliste. Son
œuvre eu un impact significatif en Grande-Bretagne. Quelques années plus tard,
c’est Jules Bastien-Lepage (1848 – 1884) que les membres du réalisme social
anglais érigèrent en maître. Dans les Ramasseuses
de pierre, George Clausen (1852 – 1944) adopte la palette claire de
Bastien-Lepage ainsi que son utilisation de pinceaux plats afin de traduire les
gradations de teintes. La femme n’est ici nullement idéalisée, elle est
présentée de manière crue, sans concession, dans un environnement rural qui
évoque le dénuement le plus total.
George
Clausen, Les ramasseuses de pierres,
1887
Huile sur
toile, 106,5 x 79 cm, Laing Art Gallery, Newcastle
La femme déchue
Ces
problem pictures ou images problématiques,
comme les critiques d’art se plaisent à les appeler, constituent un genre dont
les œuvres présentent un sujet narratif délibérément ambigu, faisant l’objet
d’interprétations diverses de la part du spectateur. Les artistes adeptes de
ces scènes choisissent de mettre en image l’instant de la narration qui possède
la charge émotionnelle la plus intense. Ces tableaux recèlent de symboles
aisément décodés par leurs contemporains sans forcément nécessiter la
connaissance de sources littéraires. The
fallen woman, la femme déchue, devient un motif récurrent de la peinture de
genre dans la deuxième moitié du 19ème.
Augustus Leopold Egg, Passé et présent (premier panneau), 1858 Huile sur toile, 63,5 x 76,2 cm, Tate Britain |
Le
triptyque Passé et présent d’Augustus
Leopold Egg (1816 – 1863) dépeint la découverte de l’adultère par le mari et
les conséquences drastiques qu’il entraine pour le foyer. Dans le premier
panneau, nous apercevons l’épouse éplorée aux pieds de son mari qui tient une
lettre, preuve de son infidélité. Une pomme coupée en deux rappelle le péché
originel, référence que l’on retrouve dans une gravure d’Adam et Eve accrochée
au mur du salon. Le second panneau montre une mansarde dans laquelle se trouve
la mère en compagnie de sa fille déshonorée par sa faute. L’ultime volet de la
série révèle la mère sous un pont qui dissimule le résultat de sa liaison dont
on aperçoit les jambes. L’absence de sa fille suggère que celle-ci est morte,
ou travaille en tant que prostituée. Le triptyque ne nous renseigne cependant
pas sur la position de son auteur. Réprouve-t-il l’adultère de la mère ou
invite-il le spectateur à prendre parti pour elle ? Toujours est-il que
l’opinion fut défavorable, si bien que Egg ne put jamais vendre le troisième
panneau jusqu’à sa mort.
William Holman Hunt, L'éveil de la conscience, 1853 Huile sur toile, 76,2 x 55,9 cm, Tate Britain |
Plus
ambigu encore est L’éveil de la
conscience de William Holman Hunt (1827 – 1910). L’œuvre représente une
prostituée qui se met à éprouver des regrets. Même si on acceptait qu’un homme fréquente
une fille de joie, en dépit de sa prolifération phénoménale, la prostitution
était perçue comme « la Grand Menace de l’époque ». Hunt, inspiré par
Emily de David Copperfield, enlevée
par son amant la veille de son mariage, avait loué une garçonnière à St John’s
Wood et fit poser Annie Miller, une roturière dont il s’était épris, qu’il
voulait éduquer pour en faire une femme du monde. La prise de conscience de la
jeune femme est provoquée par la mélodie jouée par son compagnon, Oft in the Stilly Night (Souvent, pendant le calme de la nuit),
qui lui remémore la perte de son innocence. Ses bagues aux doigts, –
l’annulaire excepté – le chat tenant sa proie entre ses pattes, le gant jeté
négligemment au sol, les aiguilles de la pendule approchant midi, ce sont tout
autant de signes qui indiquent son statut de captive.
Femmes
déchues et tribulations du sexe faible : les victoriens raffolaient des mélodrames
qui mettaient en scène des récits impliquant infidélités et secrets de famille.
Ceux-ci constituaient leurs principales sources de distraction et c’étaient le genre
d’intrigues qu’on allait souvent voir jouer au théâtre. Depuis les séries de
Hogarth, les modern moral subjetcs
captivent les britanniques. L’artiste avait à l’origine pour but d’élever la
scène de la vie quotidienne au rang de peinture académique. Plusieurs
générations de peintres victoriens témoignent de la dette qu’ils doivent à Hogarth.
Ses séries, caractérisées de « romans en peinture », étaient entrées
au panthéon du patrimoine artistique britannique.
Si
cet attrait du récit révèle la fascination des victoriens pour l’aspect
narratif des arts visuels qui pouvaient s’adresser à des couches diverses de la
société, il est en revanche plus préoccupant de constater qu’il dénote bel et
bien des attitudes masculines sexistes dont les femmes souffraient en
permanence. L’émergence de mouvements féministes à partir des années 1890 a
considérablement inquiété la bourgeoisie qui se mit à ridiculiser « the
New Woman » (la nouvelle Eve) à travers de nombreux pamphlets et
caricatures.
Le
problème, c’est que l’on a souvent vu ces scènes de genre reprises par dans des
affiches publicitaires et des gravures reproduites en masse, qui renforçaient
ainsi l’idée de rôles auxquelles les femmes étaient cantonnées. Ces images
reflétaient le goût des classes moyennes et professions libérales. On ne peut
donc que se féliciter des œuvres d’artistes qui interrogeaient la condition
féminine afin d’ébranler les convictions les plus soldes du public bourgeois.
[1] Le terme
de soap opera désigne un feuilleton
sentimental ou mélodramatique. Aux Etats-Unis, les premiers soap operas étaient
diffusés à la radio en semaine pour pouvoir être suivis par les femmes aux
foyers : ils s’adressent à l’origine à un public principalement féminin.
[2] L’ange de la maison (1854 – 1862) est un
poème narratif de Coventry Patmore dédié à sa femme. Si Virginia Woolf pensait
que les femmes écrivains avaient pour devoir de tuer l’ange de la maison,
l’expression dérivée du poème a perdu son sens d’origine : selon Patmore,
elle faisait seulement référence à l’amour que sa femme lui portait, et non à
son rôle au sein du foyer.
Bibliographie
Généralités
Lionel LAMBOURNE, ‘The frailer sex and the fallen woman’, op.cit, pp. 368 – 389
---, ‘The narrative impulse: genre painting’, in Victorian Painting, op.cit, pp. 126 – 148
Jeremy PAXMAN, ‘The angel in the house’ in Victorians: Britain through the paintings of the age, op.cit, pp.105 – 161
Ouvrages spécialisés
Mary COWLING, The artist as anthropologist: the representation of type and character in Victorian art, Cambridge, 1989
---, Victorian figurative painting: domestic life and the contemporary social scene, Windsor, 2000
E.D.H JOHNSON, Paintings of the British social scene: From Hogarth to Sickert, Londres, 1986
Lionel LAMBOURNE, An Introduction to Victorian genre painting, Londres, 1982
Sacheverel SITWELL, Conversation pieces, Londres, 1936
---, Narrative Pictures, Londres, 1937
Nancy Rose MARSHALL, City of gold and mud: painting Victorian London, Yale University Press, 2012
Pamela Gerrish NUNN, Problem pictures: women and men in Victorian painting, Scolar Press, Ahgate, 1995
Susan P. CASTERAS, Images of Victorian womanhood in English art, Rutherford, New Jersey, 1987
Julia THOMAS, Victorian narrative painting, Tate Gallery, Londres, 2000
Catalogues d’exposition
Nina Gail ANDERSON et Joanna WRIGHT, ed, The pursuit of leisure: Victorian depictions of pastimes, Royal Albert Memorial Museum et Djanology Art Gallery, Londres, 1997
Susan P. CASTERAS et Ronald PARKINSON, Richard Redgrave, Victorian and Albert Museum, Londres, 1988
Joan CROSSLEY et Sarah HOLDSWORTH, Innocence and experience: images of childhood in British art from 1600 to the present, Manchester City Art Gallery, 1992
Julian TREUHERZ, Hard times: social realism in Victorian art, Manchester City Art Gallery, 1988