Pois de senteurs, pensées, camélias, lys et autres tulipes... Les fleurs sont tout près. Il suffit de les voir pour les sentir. Vous pouvez presque les toucher. S'agit-il d'un réel bouquet ? Ne vous y trompez pas ! C'est bien une toile de l'inclassable Henri Fantin-Latour (1836 - 1904) qui se trouve devant vos yeux. Pour la première fois en France depuis 1982, le Musée du Luxembourg propose la rétrospective d'une oeuvre trop souvent méconnue. De Fantin-Latour, nous nous souvenons principalement des monumentaux portraits de groupes arborant les célébrités littéraires et artistiques du siècle. Et si nous avions tort ? Si, derrière ce voile de vie mondaine, s'esquissait le portrait d'un homme sensible, discret, qui aspire au calme et à la sérénité à travers l'art ? C'est ce que Laure Dalon (RMN), Xavier Rey (Musée d'Orsay) et Guy Tosatto (Musée de Grenoble) ont aspiré à nous signifier, à travers un parcours chronologico-thématique.
De retour à Paris, après avoir fréquenté brièvement l'atelier de Courbet, il devient membre du groupe dit "de 1863" puis du Cénacle des Batignolles d'où émergera l'impressionnisme, face auquel Fantin-Latour a toujours voulu se démarquer. C'est à cette époque qu'il produit ses toiles les plus célèbres telles L'Hommage à Delacroix. Plus qu'une sanctification du génie romantique dont la mort fut trop peu commémorée, il s'agit de réunir sous son égide les plus grands artistes de la scène parisienne, gages de modernité.
Les atypiques portraits de Fantin-Latour présentent une vision silencieuse du modèle, dans une composition au sein de laquelle la communication entre les sujets semble quasi-absente. Il y a dans la facture des portraits de Fantin-Latour une incroyable douceur qui rappelle le style de la peinture flamande, et même la rondeur du modelé de Vermeer. D'ailleurs, l'artiste se réclamait lui-même de nul autre que le maître hollandais, Rembrandt.
Vient alors la consécration: très vite, Fantin-Latour abandonne les portraits de commande pour se tourner vers ses études botaniques qu'il épie tel un scientifique, les portraits de ses proches et les sujets d'imagination ou "fééries". Passionné de musique, Fantin-Latour tente dans les années 1870 de restituer sur la toile les oeuvres de Wagner, Berlioz et Schumann, avec un réalisme pour le moins déroutant, car au service de l'imaginaire. L'Anniversaire (1876) donne lieu à de surprenantes expérimentations sur le plan pictural : au même titre que les esquisses, calques et pastels, les lithographies rehaussées de gouache participent entièrement à la préparation du tableau.
Pour s'assister dans son travail, Fantin-Latour réunit un fonds photographique d'une ampleur considérable, accessible dans la quatrième salle de l'exposition. Celui-ci, offert par sa veuve à la ville de Grenoble en 1921, est composé principalement de nus. Il n'était pas toujours aisé de trouver des modèles pour un usage privé, d'où la circulation clandestine de clichés caractérisés d'obscènes ou réalisés par des photographes accusés de proxénétisme (Gugliemo Plüschow). Et si Fantin-Latour pouvait ainsi aisément reproduire des poncifs de la sculpture occidentale ou même décalquer ses dessins directement sur le papier photographique, on découvre ainsi un aspect particulièrement intime de son oeuvre, comme en témoigne cette étude ci-dessous à la sanguine. Habituellement adepte du crayon gras ou du fusain, Fantin employait la sanguine pour fixer des attitudes, arrêter son regard sur le papier ou explorer des morceaux de corps. Comme un photographe.
On ne peut donc que déplorer, face à une exposition si réussie, l'absence de traductions en anglais, qui ne figurent que dans le livret. C'est d'autant plus dommage que, vu les liens que Fantin-Latour a crée avec l'Angleterre, en la personne de Whisler et du marchand d'art Edwin Edwards; nombreux auraient été les anglophones passionnés par le sujet.
La relation rapprochée que Fantin-Latour nourrit avec l'Angleterre semble évidente étant donné la précision et le souci du détail avec lesquels il construit ses études de plantes. Formé à la peinture par les réalistes, Fantin-Latour est, à l'instar des anglais, un amoureux de la nature. Elle lui permet de reconstituer une vision fidèle de la réalité. Les compositions florales apparaissent telles la palette du peintre à la recherche de sa composition. Les natures mortes acordent un subtil effet de contraste à travers le travail sur les différentes textures, ô combien sensuelles. A ce stade, je me permets de saluer l'excellente scénographie qui rend toute sa grâce à cette conception hédoniste de la nature. Lumière brillante et fonds noirs permettent d'apprécier ces petits formats à leur juste valeur.
Ce même souci de vérité se retrouve dans les portraits et autoportraits. Les conservateurs ont souligné la distance qui émane de ces toiles. J'ai pourtant trouvé que s'en dégage une impression de plénitude, en dépit de l'aspect de silhouette des personnages. L'effet de fumé et ce ton si singulier qui certifient la marque de fabrique de cet artiste évoquent un monde clos (point de paysages dans cet exposition, Fantin-Latour est un homme d'intérieur), entre nostalgie et épanouissement. Quelque peu ténébreux, ce regard (le sien) est pourtant doux. Mais celle qu'il a véritablement célébré à travers son oeuvre, si ce n'est la musique, c'est la femme. En prenant pour modèle son épouse et ses proches, Fantin-Latour sonde les mystères de l'intimité. Devant un chevalet, à la lecture, ses muses explorent la condition de l'artiste bourgeois bien conscient de son individualité et de sa mission. Dans chaque tableau, Fantin-Latour révèle ses talents de dessinateur, en élaborant sa composition à l'avance, selon un modèle de quadrillage très classique. Classiques aussi sont les références à la mythologie gréco-latine et nordique qui abondent : Fantin-Latour se perd dans ses fééries, en travaillant la toile au grattoir telle une lithographie, à l'aube d'un siècle naissant où il n'a plus grand-chose à faire. Du moins sur terre.
Naturaliste, romantique ou symboliste ? Il semble que Fantin-Latour ait adapté son style à chaque genre et type de sujet. Tour à tour mélancolique, adorateur de la beauté féminine, témoin d'une fin de siècle et d'une bourgeoisie sur le déclin, Fantin-Latour est un artiste extrêmement prolifique, d'une grande sensibilité, quoique silencieux et marginal. Tel un observateur muet, il dissèque les travers de la nature, non sans une émotion certaine.
J'ai particulièrement apprécié le parti-pris de l'exposition: sans s'encombrer de détails biographiques (on sait en réalité assez peu de choses sur ce peintre plutôt secret), on se concentre essentiellement sur la carrière artistique de Fantin-Latour, celui qui vivait dans un monde d'art et de musique, à cent mille lieues de l'agitation parisienne ambiante, ses révolutions picturales, ses guerres (en 1870 les Prussiens passaient par là), ses esclandres politiques. Au carrefour d'influences qui ont enrichi son oeuvre, Fantin-Latour a produit bien plus que des portraits de personnalités. En cela, le Musée du Luxembourg lui rend parfaitement justice.
"La Peinture est mon seul plaisir, mon seul but..."
Tout commence en 1850 dans l'atelier parisien d'Horace Lecoq de Boisbaudran. Au départ initié au dessin par son père, Fantin-Latour reçoit une éducation classique et copie avec ardeur les sculptures du Louvre. Mais ses tentatives de jeunesse aux Salons demeurent un échec. Fantin-Latour décide donc de partir pour Londres, où il rejoindra Whistler. C'est en Angleterre qu'il trouvera le succès et les honneurs, grâce notamment à ses natures mortes, très appréciées de la bonne société victorienne. L'Hommage à Delacroix, 1864 Huile sur toile, 160 x 250 cm Musée d'Orsay |
De retour à Paris, après avoir fréquenté brièvement l'atelier de Courbet, il devient membre du groupe dit "de 1863" puis du Cénacle des Batignolles d'où émergera l'impressionnisme, face auquel Fantin-Latour a toujours voulu se démarquer. C'est à cette époque qu'il produit ses toiles les plus célèbres telles L'Hommage à Delacroix. Plus qu'une sanctification du génie romantique dont la mort fut trop peu commémorée, il s'agit de réunir sous son égide les plus grands artistes de la scène parisienne, gages de modernité.
Les atypiques portraits de Fantin-Latour présentent une vision silencieuse du modèle, dans une composition au sein de laquelle la communication entre les sujets semble quasi-absente. Il y a dans la facture des portraits de Fantin-Latour une incroyable douceur qui rappelle le style de la peinture flamande, et même la rondeur du modelé de Vermeer. D'ailleurs, l'artiste se réclamait lui-même de nul autre que le maître hollandais, Rembrandt.
Vient alors la consécration: très vite, Fantin-Latour abandonne les portraits de commande pour se tourner vers ses études botaniques qu'il épie tel un scientifique, les portraits de ses proches et les sujets d'imagination ou "fééries". Passionné de musique, Fantin-Latour tente dans les années 1870 de restituer sur la toile les oeuvres de Wagner, Berlioz et Schumann, avec un réalisme pour le moins déroutant, car au service de l'imaginaire. L'Anniversaire (1876) donne lieu à de surprenantes expérimentations sur le plan pictural : au même titre que les esquisses, calques et pastels, les lithographies rehaussées de gouache participent entièrement à la préparation du tableau.
Pour s'assister dans son travail, Fantin-Latour réunit un fonds photographique d'une ampleur considérable, accessible dans la quatrième salle de l'exposition. Celui-ci, offert par sa veuve à la ville de Grenoble en 1921, est composé principalement de nus. Il n'était pas toujours aisé de trouver des modèles pour un usage privé, d'où la circulation clandestine de clichés caractérisés d'obscènes ou réalisés par des photographes accusés de proxénétisme (Gugliemo Plüschow). Et si Fantin-Latour pouvait ainsi aisément reproduire des poncifs de la sculpture occidentale ou même décalquer ses dessins directement sur le papier photographique, on découvre ainsi un aspect particulièrement intime de son oeuvre, comme en témoigne cette étude ci-dessous à la sanguine. Habituellement adepte du crayon gras ou du fusain, Fantin employait la sanguine pour fixer des attitudes, arrêter son regard sur le papier ou explorer des morceaux de corps. Comme un photographe.
Torse de femme |
On ne peut donc que déplorer, face à une exposition si réussie, l'absence de traductions en anglais, qui ne figurent que dans le livret. C'est d'autant plus dommage que, vu les liens que Fantin-Latour a crée avec l'Angleterre, en la personne de Whisler et du marchand d'art Edwin Edwards; nombreux auraient été les anglophones passionnés par le sujet.
Vase aux pommes et feuillage, 1878 Huile sur toile Fondation Bemberg, Toulouse |
Autoportrait, 1860 Crayon noir rehaussé de blanc |
Ariane abandonnée, 1899 |
J'ai particulièrement apprécié le parti-pris de l'exposition: sans s'encombrer de détails biographiques (on sait en réalité assez peu de choses sur ce peintre plutôt secret), on se concentre essentiellement sur la carrière artistique de Fantin-Latour, celui qui vivait dans un monde d'art et de musique, à cent mille lieues de l'agitation parisienne ambiante, ses révolutions picturales, ses guerres (en 1870 les Prussiens passaient par là), ses esclandres politiques. Au carrefour d'influences qui ont enrichi son oeuvre, Fantin-Latour a produit bien plus que des portraits de personnalités. En cela, le Musée du Luxembourg lui rend parfaitement justice.
Un atelier aux Batignolles, 1870 Huile sur toile, 204 x 273 cm Musée d'Orsay |
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